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    L’ÉNIGME DU RETOUR : LA TRIANGULATION DES FRONTIÈRES

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    Par Donald Dorléant

    L’énigme du retour (2009) explore la manière dont Dany Laferrière, personnage et narrateur du roman, se confronte aux frontières existantes entre les lieux, les cultures, et les facettes de son identité. Dans L’énigme du retour, l’altérité des frontières se révèle à travers le rapport complexe entre l’écrivain et ses origines haïtiennes, sa vie au Québec, et son bref retour en Haïti après des années d’exil. Chez Laferrière, des frontières culturelles, géographiques et personnelles s’interpénètrent et créent un espace de sens où l’identité, la mémoire et l’altérité s’entremêlent.

    L’INTERSECTION DE DEUX MONDES

    Laferrière, en tant qu’écrivain exilé, met en lumière l’idée de frontière géographique à travers le retour en Haïti, son pays natal, après plusieurs années d’absence. Ce retour en Haïti, à l’âge mûr, après une longue vie en exil au Canada, est symbolique d’un passage de l’autre côté de la frontière physique et mentale. Il faut préciser que la frontière physique et mentale sépare l’écrivain du pays qu’il a quitté. Il se trouve à la fois étranger et natif, pris entre deux mondes, entre deux pays.

    Dany Laferrière utilise l’exil pour questionner l’appartenance et l’identité. Les frontières géographiques, symbolisées par l’Atlantique entre Haïti et le Canada, deviennent un lieu de passage, et subséquemment, un lieu de division et de confrontation à soi-même : « Vue du ciel on voit son sud toujours en mouvement. Des populations entières montent chercher la vie au nord. Et quand tout le monde y sera, on basculera par-dessus bord » (p.46).  Le retour en Haïti, comme le démontre Laferrière, n’est pas simplement un retour à la maison, mais est aussi une manière de se réconcilier avec l’altérité de son propre passé, avec le temps, l’histoire et les souvenirs effacés par l’exil.

    La frontière culturelle est un axe majeur dans le roman. Laferrière navigue entre les cultures haïtienne et québécoise, mettant en lumière des tensions entre ces deux identités. Ce passage d’une culture à une autre, où nous sommes fréquemment perçus comme l’Autre (l’Haïtien dans un contexte québécois, le Québécois dans un contexte haïtien), soulève des questions de marginalité et d’assimilation. Le narrateur de L’énigme du retour se retrouve dans une position paradoxale. Ce narrateur est à la fois immergé dans la culture haïtienne et détaché d’elle par le temps passé à l’étranger. Les frontières entre ces deux identités deviennent poreuses, et le narrateur vogue entre elles, en quête d’une réconciliation personnelle.

    L’énigme du retour se déroule entre plusieurs espaces : le Québec, Haïti et New York. Cette multiplicité d’espaces fait écho à la semiosphère de Lotman, où l’espace de communication entre ces différentes cultures (Québec, Haïti, New York) constitue un lieu de rencontre et de confrontation des signes. Durant son retour en Haïti, le narrateur éprouve un choc entre deux systèmes culturels. En tant qu’exilé, il revient dans un pays qu’il connaît, mais il y est aussi un étranger, un autre. Cette situation illustre la notion de frontières fluides et mouvantes dans la semiosphère. Il n’est ni complètement à l’extérieur ni totalement à l’intérieur de la culture haïtienne. Un exemple concret dans le roman est la perception de la ville de Port-au-Prince : il y a une distanciation marquée par la manière dont il la décrit. La ville, par exemple, est représentée comme un espace à la fois familier et étranger : une « ville trop bruyante », mais aussi « belle dans son chaos » (p.124-125).

    LE DÉFI DE LA MÉMOIRE

    Le retour en Haïti n’est pas uniquement une situation géographique : c’est un retour sur soi-même, sur un vécu et une identité marquée par la séparation et la diaspora. Ce roman ne se contente pas de relater le retour physique, mais explore l’idée que le véritable retour se fait avant tout dans le regard intérieur. La confrontation avec le passé, la découverte de la transformation de la terre natale, ainsi que la prise de conscience de l’altérité du moi, fait écho à des réflexions plus larges sur la mémoire, la perte et l’éternelle quête de l’identité. Le narrateur se trouve à la croisée de plusieurs mondes, et son retour en Haïti devient une métaphore du voyage intérieur.

    L’exil est au cœur du roman. Il est un éloignement géographique, un écart psychologique : « L’exil combiné au froid et à la solitude. L’année, dans ce cas, compte double » (p.75). Et en fin de compte, ce roman porte une réflexion sur la manière dont l’exil modèle l’identité et la mémoire. La figure du père, constante majeure dans L’énigme du retour, incarne la transmission culturelle. Et elle révèle l’écart créé entre les générations, surtout lorsque les fils, comme le narrateur, sont coupés de leur terre d’origine.

    L’énigme du retour est un roman dense, à la fois intime et universel. Ce roman valorise les frontières multiples auxquelles est confronté l’individu entre son passé et son présent, entre ses racines et son expérience d’exilé. À l’aide d’une écriture poétique, Laferrière traite des thèmes de l’identité, de l’exil et de la mémoire, questionne l’altérité dans toute sa complexité pour en dégager ce que représente la frontière en littérature. 

    Laferrière, Dany. 2009. L’énigme du retour, Les Éditions du Boréal, Montréal, Québec.

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