Guillaume André, 78 ans, est toujours le premier à esquisser un sourire lorsqu’on le rencontre. Mais peu de gens savent que cet homme jovial et proactif traîne derrière lui quelque cinquante ans d’implication communautaire à Montréal-Nord où il avait posé son sac à son arrivée au Canada.
Par Jean-Numa Goudou
On le connaît comme fondateur, en 1987, et directeur du Centre communautaire multi-ethnique de Montréal-Nord (CCMM) qui offre des services en immigration, en intégration, en francisation et en traduction. Parallèlement à ses activités communautaires, Guillaume André a une longue carrière de professeur d’anglais, tant en Haïti qu’au Québec, notamment à l’école Paul-Gérin-Lajoie dans le quartier Outremont. En Haïti, sa terre natale, il enseignait l’espagnol aussi avant d’immigrer au Canada, en 1975, et de poser ses valises à Montréal-Nord pour ne jamais le quitter.
« En principe oui, le centre de mes actions est à Montréal-Nord, car lorsque je suis arrivé ici au Canada, c’était au 6405 rue Dijon, je ne l’ai jamais oublié », se souvient encore le septuagénaire.
Le don de soi
Le communautarisme, il l’a dans le sang. À huit ans, alors qu’il est à l’école primaire, Guillaume André convainc la direction de son école du village d’organiser une cantine pour ses petits camarades qui arrivent le matin, le ventre vide. Il prend part, comme trésorier, à un Centre d’entraide scolaire (CES), un organisme de bienfaisance. Chaque parent, fortuné ou pas, donnait deux sous par mois pour la cantine.
« Les enfants, qu’ils soient défavorisés ou pas, viennent manger ensemble », se réjouit M. André. Le CES aidait aussi certains enfants à s’habiller et se chausser pour aller à l’église, équipés d’une tenue vestimentaire appropriée.
« Cela a tracé ma vie, affirme M. André et, lorsque je vois les résultats, je suis encouragé à faire plus ». Justement, outré par le racisme et la discrimination, en 1980, après à peine cinq ans au Québec, Guillaume a l’idée de mettre sur pied une garderie dédiée aux enfants haïtiens. Le CPE Gentil Camélia, qui fonctionne toujours à Montréal-Nord, voit le jour en 1984 avec des éducatrices haïtiennes. Elles n’étaient pas toutes certifiées, mais le gouvernement donnait un délai de trois ans pour ce faire, ce qui a été concluant.
« Nos enfants n’allaient pas à la garderie et se faisaient garder par les grands-parents. Cela les a défavorisés dans le système éducatif », a constaté le professeur. À cette époque, le racisme, notamment en logement, battait son plein également.
Créateur de richesse communautaire
En 1988, il met sur pied la Coopérative multiculturelle, un organisme en habitation. Elle a construit un immeuble de trente-deux logements locatifs et abordables à Rivière-des-Prairies au coût de trois millions de dollars. « Une pitance à l’époque », se souvient le communautariste.
Et tout récemment, le CCMM a mis sur pied Logisplus, un autre organisme en habitation derrière le projet, Le Phoenix de Montréal-Nord, un immeuble à logement sur Pie-IX. Logisplus a fait pousser dix étages (pour un total de 101 appartements neufs) à la place d’un bâtiment désaffecté, qui enlaidissait le quartier, et ce, grâce à un financement de 30 millions de dollars d’AccèsLogis.
L’immeuble est muni d’ascenseurs, d’un garage et bientôt d’un parc attenant, pour les familles avec enfants, qui sera aménagé par la Ville. « Ici, c’est les Nations Unies », indique Guillaume André pour parler du caractère inclusif de l’occupation des appartements. Ce sont des logements abordables en ce sens que les gens de toutes les communautés paient moins que le prix estimé sur le marché locatif.
Mais, Le Phoenix de Montréal-Nord dispose d’un seul 6 ½ et de quelques 5 ½, et donc pas assez pour des familles nombreuses. Le septuagénaire travaille déjà sur un nouveau projet de 125 logements, avec des appartements plus grands pour des familles nombreuses. Toujours à Montréal-Nord.
« Je n’aime pas me plaindre et, comme prof, je n’aime pas la théorie, paradoxalement, non plus, dit Guillaume André, je préfère agir ». Justement, même à soixante-dix-neuf ans bientôt, il n’arrête pas de travailler, même les fins de semaine. Il fait, chez lui, des traductions de textes et de documents pour les nouveaux arrivants qui utilisent les services du Centre communautaire multiethnique de Montréal-Nord.
Depuis près de cinquante ans, cet homme calme s’implique dans ce quartier sans jamais s’arrêter. « En principe oui, le centre de mes actions est à Montréal-Nord, dit-il, mais nos services sont inclusifs. Les gens viennent d’aussi loin que Roberval. »
On comprend davantage pourquoi André a reçu diverses distinctions honorifiques, notamment la médaille Jublilé de la Reine Elizabeth II, en 2002 et celle de l’Assemblée nationale du Québec, en 2017. De quoi souligner son engagement associatif et citoyen !