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    AU-DELÀ DES MURS : LES FRONTIÈRES RÉELLES ET IMAGINAIRES

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    Par Jobnel Pierre

    En cette année 2025, en Occident et dans le reste du monde, les frontières géopolitiques se dessinent autrement. Il en est ainsi sur le plan de la guerre commerciale aussi bien que sur le plan de la perception de la figure du migrant. Qu’il soit économique ou politique, le migrant semblerait être lui-même, aujourd’hui, un objet encombrant. Il est perçu comme une sorte de fardeau social.  Mais tel n’est pas le cas en littérature, car le migrant-objet est plutôt un sujet d’humanisation. La littérature peut-elle donc abolir les frontières géopolitiques?

    Qu’elles soient géopolitiques ou culturelles, les frontières sont des constructions humaines. Elles définissent des territoires et des identités. Elles engendrent des dynamiques d’altérité complexes. L’altérité, au sens où elle désigne la reconnaissance et la confrontation avec l’autre (l’étranger), se manifeste de manière significative dans le cadre des frontières. Ces lignes autant qu’elles isolent et qu’elles séparent sont des formes de tensions et d’exclusions.

    Et bien sûr, les frontières sont aussi des opportunités, à la fois des lieux de rencontre et d’échange. Dans ce monde postmoderne, elles peuvent être des axes de convergence où des cultures et des personnes se croisent. Des zones frontalières entre le Nord et le Sud, entre le Canada et les États-Unis, voire entre l’Europe et l’Afrique dévoilent cette dualité. Dans ces espaces, la richesse de l’altérité sert de moyen d’interactions interculturelles, de langages partagés et de pratiques hybrides.

    La catégorisation des migrants

    Dans cette dynamique, le migrant appartient à deux grandes catégories : le migrant économique et le migrant politique. La première catégorie de migrants vient des pays ayant été victimes des crises économiques. Dans ce contexte, le migrant économique traverse les « murs de séparation ». Il tente par tous les moyens de fouler le sol de la Terre Promise dans l’intention de se créer une nouvelle vie, car son pays ne peut plus lui faire rêver de jours de gloire. Le migrant économique incarne une forme d’altérité matérialisée. Lorsqu’il franchit les frontières, il porte avec lui des espoirs, des rêves, mais aussi des traumatismes et des blessures.

    Le migrant politique, lui, quitte son pays d’origine en raison de persécutions liées à ses opinions, ses ideologies, son engagement militant, et à la liberté d’expression. Dans le contexte actuel marqué par la crise des frontières, la figure du migrant politique se fonde sur une double altérité : celle de l’étranger et celle du subversif politique.  De plus, ce type de migrant désigne une forme d’altérité située au carrefour de différentes sortes d’enjeux : identitaire dans le sens de l’Autre, juridique et humanitaire (droit d’asile), géopolitique parce qu’il se trouve dans un monde fragmenté par les conflits tels que la guerre, les régimes autoritaires, les violences physiques et symboliques, les catastrophes, etc.  Selon le Rapport sur l’état de la migration dans le monde en 2024, l’estimation du nombre de migrants internationaux s’élève à 281 millions de personnes et celle des personnes déplacées à 117 millions.

    Mais la frontière, au sens où elle est perçue ici, n’est pas seulement géopolitique et littéraire, elle est aussi individuelle. Dans un même pays, la frontière entre les individus est ontologique. Chaque individu a ses propres frontières, ses propres manières de voir l’Autre. Et cette perception de l’Autre est un problème existentiel depuis la genèse de la création du monde. En effet, là où la frontière géopolitique catégorise et sépare, la littérature réunit, en plus de fictionnaliser le réel pour humaniser autrement la vie des migrants.

    La frontière littéraire

    La frontière en littérature révèle amplement le caractère flou et changeant des limites. Elle est un espace de rencontre, une sorte de lieu de souffrance et de résistance, de tension permanente entre l’appartenance et l’altérité. Elle reprend différemment la figure du migrant pour la réhumaniser. Édouard Glissant dans Le discours antillais ou Amin Maalouf, avec Les identités meurtrières, interrogent tous deux la manière dont les frontières réelles ou imaginées façonnent les identités culturelles.

    Évidemment, les écrivains migrants du Québec restituent la pluralité des frontières dans les œuvres littéraires qu’ils ont déjà créées au fil des cinq dernières décennies.

    Dans L’énigme du retour, l’écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière joue avec les frontières linguistiques et culturelles.

    Le narrateur revient brièvement dans son pays d’origine où il se sent maintenant étranger. Ru de Kim Thuy raconte le voyage d’une famille vietnamienne fuyant la guerre. Ce récit laisse voir des ponts d’empathie et de compréhension entre les peuples.

    Il est fort intéressant de retenir que derrière chaque migrant, il y a un nom, une histoire, une vie. C’est dans ce contexte que la littérature redonne au migrant son humanité et sa voix, même si concrètement, le politique attribue au migrant une figure dérangeante. Contrairement aux frontières géopolitiques, la littérature a le pouvoir de dépasser les barrières invisibles, de créer des passerelles entre les mondes et les cultures, en plus d’être un espace de sauvegarde de la mémoire collective (Régine Robin, La Québécoise).

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