Le Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDIHCA), au 430 de la rue Sainte-Hélène du Vieux-Montréal, a accueilli, le 10 avril 2025, l’exposition « Hybridations » des photographes Kesler Bien-Aimé et Grégory Jean-Baptiste. « Hybridations » ! Pourquoi ce vernissage ? Eclairage de Fanfan Clairvil.
J’y vois une alternative. Une méthode. Une vision. Un logos, voire une mécanique d’un changement possible et engagé. Un rêve au service de l’art ou l’art au service d’une utopie.
Hybridations, ce concept – identité neuve, c’est un exercice de laboratoire autant qu’un « art-lab », un entr’act’art cosigné par Kesler Bien-Aimé et Gregory Jean-Baptiste à l’espace-galerie du CIDIHCA. Il s’agit d’une réponse implacable à l’air du temps, un acte conscient. Cet act’art cristallise la conscience sociale en une utopie. Cette démonstration de photographies se métamorphose in situ. Symboliquement dans un tourbillon opéré à la matrice de l’exposition par un hyménée de deux pôl’arts, l’ensemble se déploie et prend possession de l’espace.
Sous nos yeux, s’opère la mutation à l’hybridation en un act’art vivant qui se livre à travers toute une grammaire : gestes, murmures, regards soutenus par un narratif créatif. Aussi, tout un mouvement cérébral plein la vue et l’esprit est-il posé pour qu’advienne la mutation possible.
Cette expérience nouvelle transpire une activité qui recèle tant d’intrigues qu’elle se fait chair sous la spécificité d’une identité hybride. Elle s’apprécie comme la nouvelle réponse vivante captée par l’esprit, autant sur le plan émotionnel qu’heuristique. Cette exposition inaugure une pratique propre à interroger le racisme politique, la « peur des immigrants dans ce monde blanchi ». Ce rangement est aussi un acte scrutant la mémoire et l’histoire civilisationnelle des ethnocidés ? Certes, quels propos performatifs sortiront de cet « acte-art » ? Quels encadrés thérapeutiques tirerons-nous de cette collection de photos d’art ? C’est art bifrontal : Bien-Aimé dans un pôle se met en mode noir ou blanc. Le « noir devenant aujourd’hui la ligne de partage du monde » selon la prophétie de WEB Dubois (1868-1963) ; et dans l’autre, haut en couleur, un monde de liberté étriquée, indigénéisée par Jean-Baptiste.
Comment voir clair dans cette entreprise cognitive ? Cet entr’act’art ou « l’expo Hybridations d’avril 2025 fera-t-il tache d’huile dans les annales de l’histoire de l’art d’aujourd’hui ? L’expo ne répond pas à tout. Cependant, elle s’inscrit, non spécifiquement dans le « Mois d’Histoire des Noir/es » ou dans la « Semaine contre le racisme » comme soutient le babillard mais s’imprègne de l’esprit de la mémoire nègre, colorée, décolorée, ancêtre-fondateur errant de l’humanité.
Prospectivement, le décor des photographes est planté dans un au-delà du racisme politique. Les photographies de Bien-Aimé renvoient à une humanité incarcérée. Or, le droit de cité de cette exposition est dans son questionnement. Proposer la pensée hybride, c’est repenser la société des humains. En tant qu’utopie, pour un regard nouveau et une graphie neuve, elle est potentiellement capable d’engendrer symboliquement une autre aussi éthique qu’esthétique. Un vivant socialement écologique qui tire sa mécanique du don de soi. À cela, s’ajoute l’énergie accoucheuse des amateurs d’art par une douce cohue dans la matrice tourbillonnante de l’œuvre. Aussi, au-delà de faire de l’hybridation un « consommable », les photographes construisent dans la métaphore un visuel écologiquement indivis à la hauteur des préoccupations actuelles.
Ainsi, s’éloignent-ils des « théories » et s’entremêlent-ils les pinceaux pour déterminer l’avènement de nouvelles singularités. Reliées à l’ancestralité, aux fragilités, aux interdits, aux biais sociétaux, ces œuvres parlent au temps présent.
Certes, chaque photographe donne libre cours aux récits-sources qui marquent leur différence. Les éloges et les questions de curiosité ne tarissent pas sur les sept figurés de Jean-Baptiste dont Asson, Justice (30/40) ou sur les huit œuvres de Bien-Aimé dont Embranchements, Unis-vers-el (24/36), Depuis ma cellule, (20×24). Tous ces actes d’art témoignent de la difficulté à opérer une hybridation performative.
Or, les discussions vont bon train avec les photographes : esthétiques, techniques, compositions, arts, actes, sérigraphies, couleurs… Les réponses dénouent les énigmes et les côtés magiques et en soulèvent d’autres sur les voiles physiques et symboliques qui séparent et unissent l’ensemble.
Grégory, formé à l’Université de Montréal (UDM), montre dans ses œuvres une technique complexe, mutant de la photographie à la sérigraphie. Son visuel rappelle l’indigénéité conceptuelle et par la technique, un Henri Matisse (1869-1954) remodelé. Alors que Kesler, photographe le plus osé et prolifique de sa génération, construit son art en noir et blanc à la caméra même, sans retouche, à la hauteur de son examen des dynamiques patrimoniales de la ville, voir sa thèse de doctorat en ethnologie et patrimoine à l’Université Laval, Québec.


