Par Pierre-Raymond DUMAS
Le monde littéraire est ainsi celui du vedettariat médiatico-commercial qui semble devenu, en résonance contrastée avec les travaux critiques ou pédagogiques, le summum de la consécration, l’issue heureuse de la réussite. Mais, faisons fi de cette marchandisation et, puisque des hommes de lettres, des défenseurs de la langue créole, des critiques, des vulgarisateurs comme Michel-Ange Hyppolite, alias Kaptenn Koukouwouj, qui a tenu une chronique régulière dans l’hebdomadaire Haïti en marche ne s’appartient plus, n’ayons pas peur de le mettre au-devant de la scène.
Né le 24 décembre 1953 dans le département de l’Artibonite, professeur depuis 1985 de Sciences générales et de Biologie (Gloucester High School, Ontario) et de Créole de 1995 à 1997 (Ottawa Roman Catholic Separate School Board (Ottawa, Ontario), au Canada (le pays de toutes ses ambitions) où son existence s’est redressée. Il a une formation académique de haut niveau : maîtrise en Éducation, Université d’Ottawa, 1994 ; baccalauréat en Éducation, Université d’Ottawa, 1989, certificat en Sciences de l’Éducation, Université du Québec à Montréal, 1983 ; et baccalauréat en Biologie, New Jersey City State University, New Jersey, 1980.
Comme le souligne Kaptenn Koukouwouj (Michel-Ange Hyppolite) dans Études Créoles (Montréal 1991 – 1992), c’est la Sosyete Kokouy qui est à l’heure actuelle le porte-flambeau de la littérature haïtienne créole. S’opposant à l’isolement et à la banalisation, ce mouvement a été lancé en Haïti par le docteur Ernst Mirville (Pyè Banbou) en 1965. La Sosyete Koukouy [à l’intérieur du Mouvement Créole], après avoir lutté en Haïti en faveur de l’écriture en créole sous les Duvalier, a su poursuivre aux États-Unis et au Canada, une infatigable activité créatrice dans tous les domaines de la langue créole. Talent confirmé et esprit engagé, Jan Mapou, après que les membres du groupe eurent été contraints à fuir la persécution duvaliériste, est celui qui a décidé de relancer avec ferveur à New York d’abord puis à Miami les activités littéraires de la Sosyete Koukouy.
Michel-Ange Hyppolite, lui, vit dans la région Gatineau-Ottawa depuis 1984, et c’est de là qu’il ne cesse d’apporter sans relâche sa contribution propre aux activités du groupe. Nourri du désenchantement de la culture populaire opprimée et de l’imaginaire collectif, le poète Michel-Ange Hyppolite, patriote dans l’âme, est aussi un homme de science et il a voulu, en ce domaine aussi, nous donner une œuvre en créole avec son lexique d’ostéologie « Atlas leksik zo mounn, 1989 ». Mais, avec Zile Nou, il revient à la poésie. En 20 poèmes, il fait le tour de plusieurs thèmes. Ce véritable intercesseur, quelquefois oublié par tant d’autres de la critique, a droit à la reconnaissance de la postérité pour avoir laissé une œuvre remarquable, source inépuisable pour la naissance d’une nouvelle humanité. Non sans difficultés, Sosyete Koukouy s’implanta surtout à Miami où de nouvelles recrues comme Kiki Wainwright et Josaphat Large vinrent renforcer les rangs aux côtés de vétérans comme Pyè Banbou et Togiram (Émile Célestin Mégie).
L’étoffe d’un Kaptenn …
Poète surtout, Kaptenn Koukouwouj qui a fait de la langue créole son fer de guerre, a publié en 1984 « Anba Lakay, un premier recueil de poèmes créoles. (NDLR : lire sa biographie en encadrée). Sa ténacité et son talent intrinsèques sont mis à l’honneur. C’est un vaste chantier qui n’appartient pas seulement à des experts ou à des publicistes. Personne ne peut prétendre savoir ce qu’il faut dire sur le temps qui reste. Son étoffe n’est ni celle des combats perdus ni des fausses promesses. Son étoffe – si l’on prête vraiment attention à ses comptes rendus de lecture par exemple et à ses conférences – est d’une autre nature, le charme apaisant d’un cœur aimant. Ainsi, il offre un espace d’expression et de pédagogie, où la promotion de la langue créole est abordée sans tabous ni complexes. Cela relève du terrain et de l’intelligence collective, pour que ça se perpétue graduellement. Sa poésie, son travail de prosélyte créolophone et son œuvre critique ont en commun des sources chaudes, des identités mouvantes, une généalogie complexe. Et surtout un « passé qui ne passe pas » sous la dictature des Duvalier et au-delà. Mieux qu’aucun autre auteur de la diaspora, à cet égard, il écrit comme un interlocuteur attentif dont la gentillesse passe toutes les frontières des rêves tenaces, des fraternités, des tendresses de militant aguerri.
On peut établir des parallèles entre les diverses formes de productions de Michel-Ange Hyppolite (publications, conférences, études et articles dans les périodiques) et ses activités communautaires (Co-fondateur) Sosyete Koukouy Canada (Un organisme à but non lucratif travaillant sur le développement de la langue créole et de la culture haïtienne au Canada) ; Bilten Koukouy Canada (Un bulletin littéraire et linguistique de la Sosyete Koukouy) et Samedi Littéraire Haïtiano-Canaden (un organisme à but non lucratif qui fait la promotion de la littérature haïtienne ; (coordonnateur) Sosyete Koukouy (Canada) depuis 1984 jusqu’à présent : Responsable d’assurer la liaison entre les différentes branches de la Société au Canada et aussi de publier son bulletin littéraire et linguistique Bilten Koukouy ; (Membre) Ayiti-Racine, Ottawa, Ontario (Un organisme de développement communautaire) 1992/1994 : Responsable de la section d’Éducation du groupe ; (Traducteur) Ayiti-Racine, Ottawa, Ontario F.A.S.E. (Formation appropriée en santé et en environnement), Ottawa, Ontario; 1990 jusqu’à présent : responsable de fournir un service de traduction du français vers le créole ; (Co-animateur et Correspondant littéraire) Men Kontre, Ottawa, Ontario (Une émission de radio communautaire appartenant au Comité des Haïtiens de l’Outaouais pour la reconstruction d’Haïti (C.H.O.R.H.A) 1991/1994 : Responsable d’assurer la tâche de maître de cérémonie des séances littéraires et politiques, et de préparer le matériel littéraire nécessaire pour co-animer l’émission en rubrique ; Bouyon-Rasin, Ottawa, Ontario 1993 – 2020 : Responsable de la correspondance littéraire de l’émission, et/ou de la préparation du matériel littéraire nécessaire pour la co-animer ; Lè Ayisyèn, New York, New York / Anba Tonèl Lakay, Boston, New York).
Exil et résilience
Un créolophile suractif, en tous points. À la lecture de ces études, à l’écoute de ces inflexibles conférences, notre frénétique créolophone tremble, frissonne, transpire. Ces textes destinés à la presse, critiques, études, chroniques, recensions ou amples analyses témoignent de l’ambition littéraire la plus haute. Gorgés de visions de vie et de souffrance, ils sont l’accompagnement obligé de la défense et illustration de la langue créole. Il y a plus de grâce, de sincérité, de séduction, de chauvinisme et d’universalisme à la fois entre les discours de Michel-Ange Hyppolite que chez la grande majorité des écrivains haïtiens louangés pour leur engagement patriotique. L’exil est aussi une forme de résilience ! Un esprit calme autant que captivant surgit ici !
C’est ainsi qu’il est parvenu à faire intégrer le créole haïtien comme langue seconde dans le programme cadre du ministère de l’Éducation de l’Ontario. On pourrait penser que Michel-Ange Hyppolite qui a déjà un parcours intellectuel conséquent derrière lui ne se bornerait qu’à une réflexion sur le créole, en oubliant le temps, les affects et leur profonde imbrication. En réalité, en essayant de se souvenir de chaque lieu de sa vie, il ne cherche qu’à empoigner le temps de la relecture. Sa langue créole, qui laisse éclater sa verve (et sa sensibilité), est au cœur de tous les désirs, mais le critique qu’il est, est un être de chair, d’émotions, loin du bruit des commérages et des ennuis matériels. De façon chatoyante, en laissant libre cours à son imagination et à ses attentes, il interroge, donne des pistes, émet parfois des leçons de survie, avant de changer de champ d’études, pour créer un espace dans nos esprits, et la possibilité d’un ailleurs.
Correcteur depuis 1990 à Educa Vision Inc. (Coconut Creek, Floride, USA), et membre de Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA), il a l’ambition de retrouver dans la langue, ce qu’il aime dans le pays natal et dans son enfance. Lui-même, d’ailleurs, se défend de toute intention doctrinale dans sa poésie qui charrie toute la fureur du monde, la cruauté des hommes et rend grâce à l’humanité bafouée. Quelle que soit sa langue d’écriture, sa passion pour la littérature, aux contours clairs et aux idées d’une grande puissance cognitive, est manifeste, contagieuse. On en a la preuve, s’il en était besoin, avec « Listwa Pwezi Kreyòl Ayiti » (2000) qu’il voulait placer au carrefour d’une multitude de contraintes et qui serait une sorte de livre de référence. Que l’on ait lu ou pas ses textes de vulgarisation, certains auteurs haïtiens d’expression créole nous sont familiers, ne serait-ce que par leur nom : Franck Fouché, Kesler Brezault, Georges Castera, Nounous, Jan Mapou, Jean-Claude Martineau, Serge Madhère, Paul Laraque, Franck Etienne, Félix Morisseau Leroy, la période coloniale, le langage andaki, les diverses formes de l’oraliture, le créole écrit, etc.
Cependant, la tanière principale, celle à laquelle il revient sans cesse, est le lien fascinant de la pensée et de la recherche. Si ce travail anthologique a une portée inestimable, c’est avant tout la densité de l’épure. Du travail d’initié. Libéré des contraintes de survie, il a transmis sa culture, son érudition de lecteur boulimique, sa conviction, et montré qu’il ne renonçait jamais, même confronté à une existence malaisée. Son engagement permanent est, en fait, un acte de foi venant d’un esprit exemplaire, obsédé par l’idée de faire du créole la langue de l’émancipation d’Haïti. Aucun poète vivant, aucun critique, aucun pamphlétaire de la diaspora n’a donné une voix aussi enthousiaste aux idéaux de la culture populaire, n’a rendu plus fascinante l’esthétique du créole haïtien. La générosité de sa patience, l’intensité de son regard, la concision de son style, cet imaginaire d’amour et de créativité qui vous pénètre quand vous le lisez ou l’écoutez, est au-delà de tout sectarisme culturel ou idéologique.
| Productions littéraires Michel-Ange Hyppolite Ses œuvres sont (2025 :Alarive Koukouwouj : Karant an Refleksyon Kritik, Koleksyon Koukouy; 2023 : Filozofi Euphémie ak Nicolas : Pawòl Granmoun, Koleksyon Koukouy; 2006 : Lèt Ife ak Soul – Kategori lèt, Edisyon Productions Koukourouj, Ottawa ; 2019 : Lespwa Lanmou, Pwoz pwezi, Koleksyon Koukouy ; 2000 : Istwa Pwezi kreyòl Ayiti – Livre sur l’histoire de la poésie créole d’Haïti, Editions Educa Vision ; 1996 : Li, Konprann, Ekri: Yon ti jaden kreyol – Livre d’apprentissage du créole haïtien, Éditions Productions Koukourouj ; 1995 : Zile Nou – Poèmes en trois langues, Éditions Productions Koukourouj ; 1989 : Atlas/Leksik Zo Mounn – Lexique en 4 langues (Créole/Anglais/Espagnol/Français), Éditions Koukouy ; 1984 : Anba-Lakay – Poèmes Créoles, Éditions Nèg Bosal). Ses études critiques en créole sur la littérature haïtienne d’expression créole et française se retrouvent dans divers journaux et revues (Haïti en marche (Miami) ; Haïti Progrès (New York) ; Journal Koukourouj (Boston) ; Bulletin Kalfou (Hull) ; Études créoles (Paris) ; « Bilten Koukouy » (Montréal) et ses textes scientifiques en créole dans les journaux (Haïti Observateur (New York) ; Haïti en marche (Miami) ; « Ayiti Ekran » (New York) ainsi que ses conférences, prodiges d’enthousiasme et de perspicacité (2003 : Divès Estil Pwezi kreyòl (Montréal) ; 1996 : Ottawa ‘96 – Congrès sur les Langues Créoles des Caraïbes (Ottawa) ; 1994 : « Enpòtans ensèyman kilti ayisyen nan lekòl» (Ottawa) ; 1993 : Culture et développement : La modernité repensée (Ottawa) ; 1992 : Table ronde sur la fonction sociale du créole (Ottawa) ; 1992 : Le Créole haïtien et ses liens avec le Français, les Langues Indiennes et l’Eve (Ottawa) ; 1992 : « Kontribisyon mounn nwa nan lasyans » (Ottawa) ; 1991 : « Kèk mo teknik pou òdinatè » (Boston) ; 1990 : « Istwa lanng kreyòl ayisyen an » (Montréal) ; 1989 : « Pwezi Kreyòl » (Boston) ; 1989 : « Teknik ekriti kreyòl ayisyen an » (Montréal)), pour ne citer que celles-là, constituent un travail inlassable oscillant entre pédagogie et conscientisation marqué par son expérience de la migration ou de l’exil. |


