À l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, la ville de Montréal a rendu hommage à Anthony Phelps en 2016. En marge de la cérémonie, des poètes d’origine haïtienne vivant à Montréal ont répondu alors volontiers aux questions de Claude Gilles. Ce dernier leur demandait quel regard ils portaient sur la poésie de Phelps et lequel de ses textes les avait le plus marqué et pourquoi ?
Frantz Benjamin (poète) : « Ce qui est remarquable dans la poésie de Phelps, c’est son travail d’esthète. Comment évoquer l’œuvre d’Anthony Phelps sans parler d’Haïti littéraire et de cette détermination à amener la poésie haïtienne vers une autre dimension. De Mon pays que voici, en passant par Femme Amérique, un de ces derniers recueils, le souffle poétique est constant. Je n’ai jamais senti de repli sur soi dans la poésie de Phelps, même à travers les thèmes empreints de nostalgie ou de mélancolie ».
« C’est indubitablement Mon pays que voici qui m’a le plus marqué. Surtout ce vers du recueil qui m’est arrivé un après-midi d’automne : « Si triste est la saison qu’il est venu le temps de se parler par signes ». Je venais d’avoir onze ans. Mon professeur d’arts plastiques d’alors cherchait, je crois, à attirer notre attention sur la situation politique d’Haïti. Ce texte m’a permis de me réconcilier avec ma terre natale. De comprendre que par-delà les ombres, il y a une montagne, une mer, un palmier, un ciel et des regards chargés de promesses ».
Rodney Saint-Éloi (Poète-éditeur) : « Anthony Phelps est un monument de la poésie haïtienne contemporaine. C’est un aîné capital qui mérite le respect de tous les auteurs. Cette poésie a appris aux uns et aux autres à nommer le pays d’Haïti. C’était le temps où chaque auteur voulait écrire, à sa manière naturellement, Cahier d’un retour au pays natal ». « Nous avons tous commencé par lire Mon pays que voici, qui est un texte fondamental. Nous avons aussi appris la poésie en lisant les poètes d’Haïti Littéraire, notamment René Philoctète, Serge Legagneur, Villard Denis (Davertige), Roland Morisseau ».
Stéphane Martelly (Poétesse-chercheure-professeure d’université) : « Anthony Phelps est un poète essentiel dans l’évolution de la littérature haïtienne contemporaine. Il est l’un des derniers représentants de cette école d’Haïti Littéraire, une magnifique assemblée de talents qui a donné corps au renouvellement de la poésie haïtienne du XXe siècle, en mettant le travail de la langue au cœur de ses préoccupations ».
« Cette poésie soucieuse, traversée par le contexte (dictatorial) dans lequel elle s’écrivait, sans pour autant se laisser absorber par le ou la politique, avait le grand courage de comprendre précisément la nature de son engagement : enrichir le terreau de la littérature pour lire, composer et résister avec le monde ; permettre la persistance de la complexité dans un univers où le sens était de plus en plus réduit, de plus en plus totalitaire ; offrir la beauté et la liberté de la parole comme exigence de survie ».
«Les doubles quatrains mauves, pour la brièveté et la capacité de renouvellement ».
Robert Berrouët-Oriol (Poète) : « Si l’une des partitions musicales de la poésie d’Anthony Phelps, notamment dans « Mon pays que voici », a parfois été comparée au lyrisme du poète Saint John Perse – auteur de « Vents » et d’« Anabase » et prix Nobel de poésie 1960 –, c’est que sa manière de revisiter les grands mythes fondateurs d’Haïti s’est faite dans la fréquentation soutenue des cimes du phrasé poétique, dans l’évocation rythmée des séquences de l’identité haïtienne forgée au fil des luttes nationales et dans une exceptionnelle maîtrise de la langue française. » « En réalité, plusieurs textes d’Anthony Phelps m’ont marqué depuis mon adolescence à Montréal. Parmi eux je retiens « Typographe céleste » consigné dans « Orchidée nègre » (1987), poème réédité dans son anthologie « Nomade je fus de très vieille mémoire » (éd. Bruno Doucey, 2012).
Le poète y calligraphie le mât de son projet poétique, trace les contours de son projet esthétique ainsi que sa manière d’écrire une exceptionnelle poésie de l’exil et de l’enracinement dans l’Ailleurs québécois :
« Nul ne sait impunément forcer / la demeure du poème / ce lieu privilégié où le pas du soir / se fait plus lent qu’ailleurs / où tout désir / se calligraphie de bas en haut / Homme sans verso / je ne m’exprime qu’en transparence / sans autre dépendance que le signe / ce mouvement qui fait lever le texte / en fleur ou scalpel ».
Jean Emmanuel Pierre (Poète et journaliste) : « Poète doublement insulaires, car on a migré d’une île à l’autre. Cet hommage de la Ville de Montréal rejaillit sur nous tous, puisqu’il s’agit du doyen des poètes haïtiens. Mais au-delà de la poésie, je crois que Phelps méritait cet hommage pour sa participation dans la dynamique culturelle des quarante dernières années au Québec où il a fait du théâtre et de la radio, entre autres ».
« Ça va probablement faire cliché, mais Mon pays que voici est mon préféré dans l’œuvre de Phelps. J’ai l’impression de me réconcilier avec le pays chaque fois que j’ai le texte en main ou que j’écoute l’auteur le dire. Il m’arrive aussi comme diseur de m’aventurer là-dedans dans des lectures publiques. C’est un pur chef-d’œuvre ».
Propos recueillis par Claude Gilles
*Le texte initial a été publié le 29 mars 2016 dans Le Nouvelliste