Par Walner Olivier
Le célèbre écrivain haïtien Jacques Stephens Alexis, intellectuel et homme politique d’idéologie communiste, laisse la trace de son positionnement politique de manière métaphorique dans l’une de ses œuvres phares : Compère Général Soleil. Cet ouvrage fameux, édité en 1955 chez Gallimard et traversé de multiples discours, indique le chemin à suivre pour soulager la souffrance des infortunés et émanciper tant les déshérités d’Haïti que tous les damnés de la terre. Sa lumière libératrice exprime, par analogie métaphorique, l’idéal communiste du temps.
En fait, le texte littéraire en lui-même est fait de plusieurs voix, selon le théoricien littéraire russe Mikhaïl Mikhaïlovitch Bakhtine. Comme création artistique, il est construit de divers discours ; soit par allusion ou par intertextualité directe. Si sa forme reste fixe par sa graphie, son expression morphologique ou syntaxique, ses multiples sens relèvent des lecteurs. À chaque lecteur une interprétation. À chaque nouvelle lecture, un nouveau sens apparaît. Car le texte est ouvert, affirme le sémiologue, critique et philosophe italien Umberto Eco. « Le lecteur fait l’œuvre ; en la lisant, il la crée ; il en est l’auteur véritable, il est la conscience, la substance vivante de la chose écrite… », décortique Maurice Blanchot (1981 : 18, De Kafka à Kafka).
La pluralité de sens réside dans certains énoncés compte tenu de leur construction métaphorique. Dans le dynamisme de décodage de l’œuvre par l’acte de lecture, de la mise en relation des motifs avec les personnages, on décèle que le ‘‘Général Soleil’’ – dans son ambigüité sémantique – se réfère aussi au communisme. C’est ce que le protagoniste du roman, Hilarion Hilarius, fait entendre dans son message adressé à sa femme Claire Heureuse, avant de rendre le dernier soupir.
« …La grande vérité, c’est que le soleil nous montre ce qu’il faut faire. Pierre Roumel, Jean Michel, Paco [Torres], tous les autres sont arrivés à comprendre ça », dit Hilarion Hilarius à son épouse, en citant ces trois personnages.
« Moi, je n’ai pas voulu comme eux devenir soldat de l’armée du Général soleil, j’ai cru partir très loin, pour échapper à la misère et ce sont encore les hommes du Général soleil qui ont dû me ramener ici. J’ai toujours été un homme à la tête dure, un nègre mauvais, raisonneur… ! »
« ..Le Compère Général Soleil est un grand nègre, c’est l’ami des pauvres nègres, le papa, il ne montre qu’un seul œil jaune aux chrétiens vivants, mais il lutte pour nous à chaque instant, et nous indique la route », énonce le personnage d’Hilarion Hilarius. Cet astre lumineux symbolise le ‘’ Saint- Nicolas’’, le soleil de justice dans l’imaginaire haïtien. Comme entité fonctionnelle victimaire du roman, il renvoie au communisme voulant la disparition des classes.
Les trois personnages clés cités dans ce roman, soulignés par Hilarion, sont tous des communistes. Si ce discours s’adresse à Claire-Heureuse comme unique destinataire effective, il vise d’autres récepteurs qui souhaitent emboîter le pas dans le sillage de ces trois communistes nourris des préceptes du ‘‘Général Soleil’’.
Le personnage de Pierre Roumel qui fut emprisonné au Centre pénitencier de Port-au-Prince pour avoir été communiste est manifestement inspiré de Jacques Roumain, l’auteur de l’œuvre magistrale Gouverneur de la Rosée. Après ses mauvaises conditions en prison, il a été exilé. Jean Michel, médecin, est de la même idéologie politique que Roumel. Il a invité Hilarion à aller sur les bancs d’école afin de se former et de prendre connaissance des événements historiques de son pays. Enfin, Paco Torres a été aussi une figure de proue du mouvement en République dominicaine qui a mobilisé les coupeurs de canne pour la grève.


