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    Quand l’œuvre d’art devient mémoire

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    Doctorant en anthropologie à l’Université d’Ottawa, Max Robenson Vilaire Dortilus est le rédacteur invité de la treizième édition de COM1. Spécialisé en études des arts et des créations visuelles, il analyse quatorze œuvres de Rose-Margarette Milcé Bien-Aimé et de Frantz Clairvil présentées au cours du Festival du Souvenir 2024.

    Par Max Robenson Vilaire Dortilus 

    L’iconographie de Rose-Margarette Milcé Bien-Aimé : un surréalisme de deux états 

    L’iconographie de la peinture de Rose-Margarette Milcé Bien-Aimé témoigne d’un surréalisme puissant caractérisé par des formes simplifiées, rappelant Le chien aboyant à la lune (1926) de Joan Miró. La structure de surface de sa peinture dévoile la dimension profondément poétique du réel sans enfermement esthétique, similaire à celle de Wifredo Lam dans La Jungle (1943). L’artiste ne s’intéresse pas à peindre la réalité supérieure à la nôtre. Les figures et les visages qu’elle définit un peu spontanément à travers son coloris sont non reproductibles, un peu à la manière de Jean-Michel Basquiat Untitled Skull (1981).

    Son tableau, que je titre Les naufragés inconnus, illustre des personnages aux longs corps dans une mer agitée, évoquant la lutte pour la survie. Cette œuvre, tout comme La Célébration de la Grande Nuit d’Edouard Duval-Carrié (1994), dans sa force narrative dépouillée d’artifice, fait appel au chaos. L’artiste unit le réel et l’imaginaire pour éveiller chez le regardeur ce qui a été perdu dans les profondeurs de son être. Devant les visages peints par l’artiste, le spectateur est invité à une thérapie personnelle, une expérience semblable à celle provoquée par Guernica de Pablo Picasso (1937).

    Milcé Bien-Aimé rapproche deux formes de perte, pour reprendre ce terme de Léa Vuong dans son développement de la notion de « ruine » qu’elle a reprise chez Svetlana Boym : le perdu récupérable, qui implique un état thérapeutique et la possibilité de guérison des blessures historiques, et le perdu irrécupérable, qui évoque un état d’amnésie ou de nostalgie d’une histoire que le temps a rendu inaccessible. Cette dualité s’inscrit dans une réflexion sur les traces laissées par l’esclavage et la colonisation.

    La peinture caractérielle de Frantz Clairvil : symbolisme et universalisme en duel

    Frantz Clairvil, quant à lui, adopte une approche comparable à celle existant dans No. 5 (1948) de Jackson Pollock, marquée par une récurrence de motifs tels que les tâches, les traces et les circularités, pour évoquer une énergie brute. L’iconographie de sa peinture exprime ainsi des sensations troublantes, des mouvements irréguliers et des débordements traduisant une violence intérieure. Une de ses œuvres phares, Traversée des captifs africains, aborde les conditions inhumaines du transport des esclaves pendant le commerce triangulaire. Cette peinture, à l’instar des silhouettes de Kara Walker dans The Crossing (2017), crée une présentification d’une absence qui laisse des marques indélébiles chez les peuples victimes de ce pan d’histoire. Clairvil, sans souci de narrativiser, invite ainsi le spectateur à faire l’expérience d’une méditation sur les impacts de l’esclavage.

    Par ailleurs, Clairvil peint parfois « rectangle sur rectangle » qui représente fondamentalement sa technique picturale. Cette manière de peindre constitue aussi presqu’entièrement la structure et l’ordre logique de composition et de l’évolution de sa peinture. À travers cette technique sont repris et répartis des icônes dans une suite logique de production de nouveaux tableaux. Toutefois, la bidimensionnalité est universelle chez Clairvil, à la lumière du Senecio (1922) de Paul Klee. Les couleurs primaires (bleu et rouge) aux côtés du noir sur un fond blanc, qu’il adopte parfois, double son symbolisme d’un universalisme. L’adoption de ces couleurs pures fait appel aux difficultés du « vivre ensemble » en Haïti, en même temps que cela rappelle les moments de l’histoire du drapeau haïtien.

    En plus, un peu comme chez Mark Rothko, l’application du niveau zéro si fréquent dans la peinture de Clairvil caractérise son universalisme. L’espace et le temps libres dans lesquels peuvent se déployer l’objet et sa forme inconnus sont d’une grande importance pour l’artiste. Toutes les positions et tous les angles se valent pour lire sa peinture en général, à la manière d’Yves Klein dans IKB 191 (1962), plaçant ainsi le spectateur dans une liberté contemplative.

    Somme toute, les œuvres de Rose-Margarette Milcé Bien-Aimé et Frantz Clairvil se complètent pour créer un puissant dialogue entre l’histoire et la mémoire, le réel et l’imaginaire. Leur exploration du thème Désirs de s’affranchir interpelle sur les séquelles de l’esclavage. À travers leurs œuvres, l’art devient un espace de résistance, de guérison et de reconstruction, invitant le spectateur à revisiter les mémoires enfouies, à se confronter au passé tout en se projetant dans l’avenir.

    Au prix de mes rêves, une toile de la peintre Rose-Margarette Milcé Bien-Aimé

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