Ex-chercheur invité au Centre de recherche sur les politiques et le développement social de l’Université de Montréal (UdeM), Jean Roger Abessolo Nguema est l’auteur d’une thèse de doctorat sur la gouvernance des migrations internationales, en 2012, et d’une vingtaine d’articles scientifiques. À titre de rédacteur invité de la neuvième édition de COM1, le docteur en sciences politiques évoque les cas de divorces des couples immigrants noirs au Canada.
Il est désormais établi que le taux de divorce des couples immigrants noirs au Canada est plus élevé par rapport au taux moyen de divorce dans le pays, selon les données de Statistique Canada . En partant de ce constat, le but ultime des notes provisoires est de discuter des enjeux associés au taux élevé de divorce des couples d’immigrants noirs, des possibles impacts de la massification induite par ces taux et des bases conceptuelles pour une action transformatrice au sein des communautés noires du Canada.
Quoique les familles immigrantes noires représentent 3,5 % de la population globale du Canada en 2020, indique Statistique Canada, la proportion des divorces dans ces familles n’a cessé d’augmenter, alors qu’il y a une diminution marquée du nombre de divorces dans le reste de la population canadienne depuis 1991.
Faits saillants
Plusieurs faits saillants sont mobilisés pour expliquer le taux élevé de divorce des couples immigrants noirs, notamment les changements de rôle des hommes et des femmes dans la société canadienne induisant un nouveau partage de tâches; les difficulté chez les nouveaux venus de trouver un emploi accentuant le stress, l’isolement social et les problèmes de communication; la modification substantielle en 2021 des lois fédérales canadiennes en matière familiale concernant le divorce, le rôle parental et l’exécution des obligations familiales, dont l’un des enjeux est de lutter contre la violence familiale.
Toutefois, il aurait été mieux indiqué de comparer le taux de divorce des couples immigrants noirs et le taux de divorce des non-migrants dans les pays d’origine, afin de déterminer si la migration est un facteur prééminent du divorce.
Résultats et implications
Les résultats sont largement tributaires d’une recherche documentaire limitée à des outils et documents non exhaustifs accessibles en ligne. Des pistes et réflexions ont néanmoins été explorées, non sans prendre quelques distances envers une approche transnationale des divorces en contexte de migration. La perspective en termes d’économie politique de la migration, dont la ligne de base a été tracée dans nos études précédentes, semble intéressante à bien des égards.
D’abord, elle permet de comprendre les possibles impacts de la massification, se traduisant par une correspondance entre taux élevé de divorce de couples immigrants noirs et narratifs récurrents sur ce sujet dans les réseaux sociaux : la femme quitte le mariage au Canada à cause de ça. Pourquoi les immigrants arrivent-ils au Canada et divorcent-ils après un certain temps? Pourquoi y a-t-il autant de divorces au Canada parmi les couples immigrants? #épanouissementglobal #mariage, etc.
Ensuite, elle aide à cerner la manière dont ces narratifs se développent, précisément dans un milieu de recherche et de pratique saturé par des supports de thérapie de couple et outils d’apprentissage collectif. Les supports et outils précités attestent que les efforts y sont concentrés sur la résolution de problèmes de divorce, plutôt que sur toute autre implication pratique ou théorique. Ils prétendent ainsi dédramatiser les narratifs en lien avec le taux élevé de divorce des couples immigrants au Canada, comme l’illustre leur caractérisation: une initiative visant à accompagner les parents immigrants dans l’exercice de leur rôle en contexte migratoire – Vivre ensemble; Médiation familiale et expériences de couples immigrants au Québec : le parcours migratoire comme support à la médiation (uqam.ca) ; Divorces et séparations dans l’immigration : une approche interdisciplinaire pour améliorer les services. D’après l’étude de Statistique Canada, il peut ainsi sembler pertinent de mettre en perspective la prévalence des situations de monoparentalité chez les femmes immigrantes noires au Canada, trois sur dix en 2016, comme conséquence des divorces des couples immigrants noirs.
Une telle prétention est probablement justifiée sur le plan empirique, mais elle reste une source d’embarras sur le plan conceptuel. Elle ne donne pas des moyens intellectuels de visualiser le caractère ambivalent du divorce :
· Son caractère quantitatif, au sens que le législateur canadien donne au terme de divorce, à savoir : un acte juridique fondé sur l’échec du mariage ;
· Et son caractère processuel, souvent oublié, sous-tendant que toutes les tensions au sein des couples immigrants ne conduisent pas inéluctablement au divorce.
Une grande partie de la recherche sur le divorce des couples immigrants noirs au Canada reste donc largement à faire.
À propos de l’auteur Jean Roger Abessolo Nguema est agent de développement volet sécurité alimentaire de la Corporation de développement communautaire de Rivière-des-Prairies. Il a fait partie de l’équipe de recherche sur « Lutter contre le racisme antinoir et la désinformation en ligne au Canada ». Avant de rejoindre le Centre de recherche sur les politiques et le développement social, il a exercé les fonctions d’enseignant-chercheur de science politique à l’Université de Douala (Cameroun) pendant plus de treize ans. Nguema a donné des conférences dans plus de dix pays. Il agit également depuis 2020 à titre de coordonnateur de projet bénévole et membre du conseil d’administration de IDÉES-AFRIQUE, qui s’intéresse notamment à la recherche sur les enjeux saillants concernant les afrodescendants au Canada. |
Par Jean Roger Abessolo Nguema