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    Ralph Civil: scénariste de l’inclusion

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    Par Jean-Numa Goudou

    C’est en taquinant la muse, au début des années 1990, en Haïti, que Ralph Civil a eu la piqûre du théâtre. Il prenait part à ce qu’on appelait à l’époque un « jeu de correspondance », une sorte de communication épistolaire entre les jeunes amoureux de la langue française.

    L’activité estivale devait se clôturer par un spectacle de musique, de danse et de théâtre. « J’ai osé écrire une pièce de théâtre à ce moment-là et, avec le recul, je me rends compte que j’étais tout près, que ce n’était pas si mal », estime fièrement aujourd’hui le metteur en scène. À la même période, l’institution Théâtre national donnait un cours d’été. Fort de son expérience en théâtre amateur, le jeune Ralph en profite allègrement pour le suivre.

    Il y a passé un an même si la formation devait durer trois mois. Et, c’est à ce moment-là qu’il attire l’attention du professeur Robert Beauduis, par sa présence et sa prestance sur scène. Ce dernier l’encourage fortement à s’inscrire à l’École nationale des arts (ENARTS). Ce qu’il a fait.

    Un long parcours débute alors, parsemé de grandes rencontres qui allaient le façonner dans le domaine. À l’ENARTS, il a croisé Syto Cavé au moment où ce célèbre écrivain et metteur en scène menait des auditions pour une de ses pièces. « Et depuis lors, je suis avec Syto », dit Ralph avec la grande civilité qu’on lui connaît. Ensuite, il fait la connaissance de Jean-Claude Martineau qui montait la pièce Restavek et, par la suite, Hervé Denis, un brillant dramaturge.

    Un théâtre afro

    Taillé pour le théâtre, Ralph Civil a voulu, très vite, en faire un métier. En 1999, alors qu’il demeurait encore en Haïti, il met sur pied la Compagnie Théâtre Créole. « On n’avait pas beaucoup de textes à jouer, se souvient-il, et on était juste quatre ».

    Et, en 2012, il immigre avec sa compagnie à Montréal avec l’objectif de faire connaître cet art, peu ouvert aux minorités d’ici. Composée d’afrodescendants, la compagnie promeut une pratique théâtrale internationale, interculturelle et inclusive et met sur pied le Festival théâtre de communautés noires.

    La compagnie promeut un « théâtre porté par des artistes afrodescendants qui n’ont pas vraiment accès à la promotion dans la télé, sur les grandes scènes : pour eux, c’est bouché un peu partout », soupire Ralph Civil. Elle « encourage les pièces fondées sur l’inclusion des minorités exclues en raison de leur genre, de leur sexe ou de leur couleur de peau ». La Compagnie Théâtre Créole multiplie les initiatives en organisant de nombreuses représentations gratuites au théâtre dans les quartiers les plus défavorisés de Montréal, et leur activité culmine lors du Festival théâtre communautés noires, aussi appelé Fethécomnoirs.

    En plus des pièces de théâtre, la Compagnie organise à Montréal la journée « Absolument Femmes », où des femmes artistes noires viennent performer. Depuis quelque temps, le festival a aussi lieu à l’international avec « Regards, ailleurs », en Guadeloupe ou en Haïti; lorsque la situation est sécuritaire.

    Amener les Noirs au théâtre

    Un festival de théâtre créole, le Festithéâtrecréole, est organisé chaque automne à Montréal dans le cadre de la journée internationale des langues et cultures créoles.

    Quelque 300 000 Canadiens sont issus de la communauté créole, dont une grande partie habite à Montréal, le bassin de spectateurs potentiel est immense. Le hic, c’est de les atteindre. Ralph Civil s’y connaît en difficulté pour trouver les subventions et les salles pour réaliser les répétitions et convaincre les communautés de venir au théâtre.

    En effet, le théâtre noir ne fait pas toujours salle comble en raison d’une perception « élitiste » de cet art au sein des communautés culturelles. « Ici, la communauté n’a plus l’habitude d’aller au théâtre puisque les gens qui leur ressemblent ne sont pas sur scène. On veut désacraliser l’art et la culture, surtout pour les communautés à faible revenu », observe le scénariste qui excelle dans l’ethnodrame, forme théâtrale « que l’on pourrait qualifier de « rituelle » » dont les techniques sont élaborées par feu Dr Louis Mars.

    « Nous sommes impliqués jusqu’au cou, à tel point que je peux nous décrire comme des défenseurs de la culture noire. Car on se sent encore mal représentés, pas assez visibles. On doit se donner à fond pour acquérir et occuper la place publique, déplore le metteur en scène. On travaille jour et nuit pour faire avancer la cause », ajoute-t-il.

    La compagnie espère influencer durablement la place des Noirs dans le théâtre en organisant des colloques sur le sujet, qui réunissent les acteurs du secteur.

    L’objectif des discussions est de constituer un cahier des charges, établir un panorama de la situation, avec des recommandations, pour que les Noirs aient la possibilité de se tourner vers le théâtre.

    Les adaptations de Civil

    Ralph Civil écrit ses propres pièces, mais s’adonne également à des adaptations. Dans tous les cas, il n’a jamais craint d’aborder les crises qui secouent le peuple haïtien. « Mon théâtre est plutôt social. Il traite de l’histoire de mon pays toujours en crise depuis ma naissance », explique le dramaturge, qui fait référence à l’instabilité politique chronique du pays.

    Ses adaptations portent sur des œuvres « très classiques » telles qu’Antigone ou En attendant Godot. Le dramaturge les place toujours dans un cadre très haïtien. « J’aime beaucoup l’adaptation de Félix Morisseau-Leroy, qui présente le roi Créon comme un « chef de section », une sorte de responsable de l’État [à Haïti][1]. Ça reste dans l’imaginaire de tous les Haïtiens », illustre-t-il sur un ton plaisantin.

    La Compagnie Théâtre Créole fait désormais la promotion d’autres troupes de théâtre, d’une panoplie de genres littéraires tels que la poésie et le slam, mais aussi d’artistes visuels haïtiens, dont certaines de leurs toiles ont déjà agrémenté les murs de la Bibliothèque de Saint-Léonard.

    En plus du théâtre, Ralph Civil peint à ses heures. Il fait de la peinture abstraite inspirée de Jean-Claude Garoute dit Tiga, l’un des grands maîtres de la peinture haïtienne. « J’ai commencé avec lui, dit-il, alors qu’il faisait une fresque murale, il m’a invité à mettre la main à la peinture. Je lui ai dit que je ne savais pas peindre. Et il m’a convaincu que je pouvais et me voilà là-dedans depuis », se rappelle Civil, l’air reconnaissant à l’égard de l’altruiste Tiga, un des pères fondateurs du mouvement créatif Saint-Soleil. Ce courant d’art puise ses racines dans le tréfonds du vaudou haïtien.


    [1] Dans une petite bourgade.

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