L’engouement autour de l’identité créole – leitmotiv de la sixième édition du Festithéâtrecréole – a résonné cet automne, comme la cloche de minuit, à Montréal.
Par Dimitry Nader orisma
« Le créole n’est pas juste une langue. C’est notre culture et notre identité », a martelé Nerlande Gaëtan, directrice générale du festival qui, après six éditions, s’inscrit dans la tradition des événements majeurs à Montréal.
« Être créole, c’est une imprégnation puissante. Plus qu’une langue, c’est un état de fait, un état d’être. Le créole habite notre esprit, structure notre imaginaire, et construit la base de notre rencontre avec les données du réel », a renchéri Sandrellie Séraphin, animatrice de la soirée de lancement de l’événement programmé par la Compagnie Théâtre Créole. Celle-ci ne pourrait mieux porter son nom. Avec beaucoup d’enthousiasme et énormément d’intérêt, elle s’est attelée à créoliser les arts de la scène à Montréal et ailleurs dans les Amériques.
Son Festithéâtrecréole, cette année encore, a éclairci le paysage culturel et artistique de Montréal, grâce à son éventail vibrant de spectacles et de discussions en panel. Sous la thématique Créole c’est mon identité, sa programmation a mis en relief la créolisation des arts. Pour Sabina Rony, porte-parole du 6e Festithéâtrecréole, « l’identité créole est riche de perspectives, de rencontres, de traditions, et surtout de mouvements ».
D’édition en édition, chaque intervention, chaque partage d’expérience a mis en lumière l’actualité et la communauté du spectacle vivant. L’événement a émergé en 2018. Sa première édition a été marquée d’une prestation multigénérationnelle. Le temps d’une chanson, les Cavé (Syto et Alan), Ralph Thamar, le pianiste Eddy Prophète et la diseuse Michelle Marcelin Voltaire s’alternaient quand ils ne s’entremêlaient pas sur la grande scène du Collège Ahuntsic, à Montréal.
Des performances marquantes et un plaidoyer culturel
L’ouverture de la récente édition du festival, dans la soirée du 31 octobre, a marqué les esprits avec une performance magistrale de Pierre Hector Nazon, Miraklen André, et Coutechève Lavoie Aupont dans Bobomasouri, pièce de théâtre de Frankétienne écrite et publiée en 1984, et le reste de son œuvre, mis en scène par Ralph Civil.
« Jouée devant un public enthousiaste à la Cinquième salle de la Place des Arts, cette représentation a su captiver les spectateurs, alliant une réflexion profonde sur l’héritage créole à une mise en scène audacieuse », a observé Émie Duquet. La centaine de festivaliers présents constitue le gage du bonheur contagieux de voir les trois comédiens mettre en relief la formidable vitalité de l’œuvre de Frankétienne, poète du chaos, créateur de mots et cofondateur du mouvement littéraire Spiralisme.
Les discours prononcés à cette occasion ont aussi marqué les esprits. Frantz Benjamin, député de Viau, Frantz Voltaire, historien et fondateur du CIDIHCA, Josué Corvil, conseiller municipal, et Caleb Desrameaux, ex-député haïtien, ont livré des interventions empreintes de fierté et d’engagement. Les politiques rappellent notamment le rôle essentiel des langues créoles dans la préservation et la promotion des identités culturelles. « Ces paroles ont résonné comme un appel à célébrer la diversité linguistique et à reconnaître la contribution des créolophones à la richesse culturelle mondiale », a déclaré Émie Duquet.
Le créole : plus qu’une langue, une identité
Le public était ravi de suivre des rentiers du verbe dans ce théâtre absurde explorant l’identité, la culture et les luttes sociales d’une île énigmatique et trop souvent dépecée. Le Festithéâtrecréole démontre avec brio que le créole est bien plus qu’un moyen de communication. Il est une expression de l’âme, une mémoire collective et une force de cohésion. « Ce festival n’a pas seulement mis en valeur les talents créolophones. Il a autant offert un espace pour repenser les langues créoles en tant qu’outils de création artistique, de dialogue et de résistance culturelle », a ajouté Duquet.
Chaque spectacle, chaque discussion ou exposition a rappelé que les langues créoles portent en elles l’histoire de luttes et de métissages qui définissent les peuples créolophones. En honorant cette identité, l’événement s’inscrit dans une dynamique de reconnaissance et de réhabilitation, élevant le créole au rang de patrimoine universel. Depuis douze ans, à Montréal, la Compagnie Théâtre Créole a su trouver la brillante formule pour rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales des communautés ethnoculturelles et, surtout, d’Haïti. Ouvrant les rideaux avec le théâtre absurde de Frankétienne, l’aventure s’est achevée avec Kavalye pò͘lka, de Syto Cavé, écrivain et parolier réputé pour son charme poétique. L’œuvre de Cavé a été mise en scène par Ralph Civil (scénariste de la diversité) et jouée par le duo Joepitz Dorsainvil et Réginald Germain à la Salle Jean-Eudes.