Si vous n’avez pas encore croisé Joepitz Dorsainvil, imaginez l’homme derrière cette simple description : un passionné des arts de la scène, volontaire et conscient, vivant au risque du théâtre. C’est un comédien, un vrai, qui vit à toute vitesse et ouvre mille portes sur la scène. Style calqué de l’émission D’art d’art …
Limbé, sa ville-berceau et grenier de talents, est témoin de la naissance du célèbre peintre, Philomé Obin. C’est aussi la ville d’origine de Philomé Robert, seul Noir présentateur de la matinale de fin de semaine sur France 24. Au Cap-Haïtien, là où tout a commencé, à l’ombre de la fierté du roi bâtisseur, Joepitz F. Dorsainvil a vécu sa première expérience sur les planches avec un groupe pastoral, le Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ). Cette expérience lui induit une évidente attirance pour le 6e art.
Les planches de l’auditorium du Collège Notre-Dame (CND), que fréquente Dorsainvil, alors élève au secondaire, sont bien connues. Elles rivalisent en nombre de représentations, avec la salle paroissiale, l’auditorium du collège Regina Assumpta et l’Alliance française de Cap-Haïtien. La principale ville de la région nord d’Haïti a produit les meilleurs comédiens que le théâtre contemporain ait connus. De Marie Clotilde Bissainthe, dite Toto à Valérie Alcide.
Le jeune comédien se révélera incapable de freiner. L’envie de jouer. L’âge ne fait rien à l’affaire! Pendant que d’autres se complaisent à prévoir les examens du baccalauréat, lui, il ne se suffit pas à ces épreuves. De l’Atelier de théâtre du Collège, il traverse à l’Alliance française du Cap-Haïtien. Il se trouve toujours sous la conduite du très renommé et incontournable Rosny Félix. Ce dernier carbure à l’art. Actuel président de l’Alliance française, il est un illustre professeur de lettres et d’art dramatique au CND. Et surtout, un metteur en scène. Le Collège forme des touristes, des touristes, etc., évoque-t-il souvent. Traduction bien élégante de l’envergure du monde que suppose son instruction en dehors même de la Maison blanche. Extra-muros, du salon de son domicile à la Rue 15, constitue la scène de répétition. Un carrefour artistique.
Happé par le théâtre
Une énergie toujours intacte, jusqu’en 2005, à la représentation de Les fous de Saint-Antoine (1997) – roman de Lyonel Trouillot – où il dispute la paternité de son ancien élève avec son père biologique. Une fierté partagée!
Le diplôme de baccalauréat en poche, Dorsainvil voulait troquer le costume de comédien pour une aube. Ces deux accoutrements finiront au placard. À Port-au-Prince, il ne se projette guère en comédien. Pourtant, là même où il est allé se retrancher pour imaginer sa carrière professionnelle, le théâtre est venu le chercher. Lui qui pensait marquer un silence heureux, loin des planches, se sentira bien vivant à tenir son premier vrai rôle, dans une adaptation de Les fous de Saint-Antoine. Un texte de Lyonel Trouillot que Daniel Marcelin défend avec une excellente mise en scène.
Trois mille kilomètres plus loin, à Montréal, Joepitz Dorsainvil entame ses études en sociologie, tout heureusement surpris, le théâtre le suit. Le théâtre m’a happé, dit-il avec précision. Sur l’invitation d’un ami convaincu de sa passion, il participe à une distribution de rôles (casting), à Saint-Léonard. Il recroise Ralph Civil, metteur en scène à succès, avant-gardiste et maître à penser de la Compagnie Théâtre Créole. La liste des œuvres où il tiendra un rôle : En attendant Godot, Les fous de Saint-Antoine, 12e étage, Foukifoura, Kavalye pò͘lka, etc., montre l’évidence que les métiers de l’art sont ceux qui transcendent la conjoncture; espaces ou lieux historiques.
Réginald Germain, impeccable dans sa maîtrise du comique, lui apprendra comment construire un personnage, quelle démarche adopter sur scène et de quelle façon aborder l’interprétation des textes. S’ensuit une véritable symbiose entre eux, une synchronie sur scène, plus que patente.
Alors ici, contrairement au pays natal, il est un comédien qui défend un théâtre contre les structures sociales, un art en réflexion, un vecteur de transmission des cultures théâtrales des communautés racisées, qu’elles soient afrodescendantes, africaines ou caribéennes.
Chaque pièce, chaque interprétation et chaque rôle joué cent fois, est cent fois plus tourbillonnant, cent fois plus inspirant, autant de fois plus impulsant, et, bien sûr, plus renversant. Et ces visages du public que l’on croise, ces curieux aux questions utiles et aux critiques salutaires, et, après chaque spectacle, cette passion de parler de son travail, vaut l’argument qui dit que l’art, tel qu’il se révèle dans le théâtre, demeure un plaisir et une chance.

