Premier événement d’une série d’invitations culturelles entreprises par Com C’est Nous – en partenariat avec Rendez-vous au sommet –, la causerie et la séance de dédicace autour de Vagabondages éphémères se révèlent un bon prétexte pour souligner l’expression créative littéraire des auteurs noirs d’ici comme d’ailleurs.
Par Sandrellie Séraphin
Ce roman de Robert Philomé, un bijou de littérature, un va-et-vient constant entre les pensées d’hier et les enjeux d’aujourd’hui. Une mise en lumière des incertitudes d’une démocratie chancelante en Haïti comme au Sénégal, en France comme au Mali. Ce livre remet en question les transformations possibles des relations entre culture et politique, médias et société. Journaliste, exilé politique, homme de parole et de plume, Robert témoigne de la puissance de la politique, avec son histoire et ses travers autant qu’avec sa raison.
Robert, la littérature obligée
Une arme sur la tempe, de peu son sang tournait à l’encre. Il trouve refuge à l’ambassade de France, à Port-au-Prince, en Haïti. L’exil, dirait-on, restait la seule façon d’éviter la guillotine présidentielle. La peine de mort, quoiqu’abolie en Haïti, est toujours pratiquée. Jean-Bertrand Aristide dictait sa loi. Médias-instruments, complaisance bienvenue – contrepouvoir, mort d’un trait de plume.
Le 28 décembre 2001, il quitte sa terre natale pour l’Hexagone. De cet exil, il a publié un livre, premier essai réussi. Exil au crépuscule enthousiasme aussi bien la critique que le public lors de sa parution. Le secret se trouve dans la résonance : « Je suis parti de mon pays un jour sans rien. Sans plan, sans argent, sans ami. Je suis parti sous la menace d’extrémistes qui croyaient que par la seule force d’une interview ou d’un sujet radio, un journaliste peut menacer la République ».
Pessimisme politique de Robert, malheur public et traumatisme réel. Des milliers d’Haïtiens fuient le pays pour échapper à la haine gratuite des chimères, aux sbires du régime Lavalas et aux poches de résistance. Les universités, les médias libres et critiques et les partis politiques de l’opposition furent les plus sévèrement réprimés. Ce pays, où le mot « liberté » a pris son sens en 1804, est érodé par les velléités les plus corrosives du premier président élu démocratiquement après la parenthèse dictatoriale sanglante des Duvalier.
Aristide était promesse d’une différence, d’une cassure avec la dictature… Les travailleurs de la presse ont payé de leur vie cette promesse non tenue d’État de droit.
« Je déteste ne pas savoir »
L’ignorance lui serait d’une insoutenable légèreté pour paraphraser Kundera : « il y a une culpabilité de ne pas savoir et un devoir de savoir ». Robert est l’entrepreneur de sa vie et de sa carrière qui ne se résume pas au rôle de présentateur (speaker). Depuis Haïti, il est diplômé en linguistique appliquée et en droit avant de rejoindre Radio Vision 2000.
« L’idée de me mêler de tout, de choses qui ne me regardent absolument pas ; l’idée de pouvoir aller raconter ces choses à des gens qui y sont complètement étrangers a fini par me séduire», assume-il1. Après l’Université d’État d’Haïti, il fait l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Sciences politiques, à Paris, pour ajouter une dimension au caractère exceptionnel de ce métier dont il a les lettres chevillées au corps.
Même si le journalisme est venu à moi par hasard (en le pratiquant, j’ai fini par y prendre un certain plaisir) non sans risque, ça m’a valu l’exil et un déracinement. Mais mon horizon ne se limite pas à cette mésaventure. Après avoir officié à RFI, son master de télévision obtenu en poche, il rejoint l’équipe de France 24, en 2008, d’abord en tant que journaliste de bureau (journaliste de desk). Puis, il se met à présenter les éditions matinales du journal, la fin de semaine (le week-end).
Défenseur d’une information citoyenne, Robert est tout aussi persuadé qu’il faut rompre avec la trop grande discrétion du journalisme pour rassurer la population d’Haïti, ce pays de convulsions. Il garde une foi inébranlable dans une société qui refuse de se livrer aux prédations de toutes sortes.
Toutes ses œuvres littéraires témoignent de son engagement comme entrepreneur de sa propre vie. Haïti, réinventer l’avenir est une mesure de la réalité de son activité comme journaliste qui n’a pas entendu de silence heureux dans un Haïti qui tremblait. Aujourd’hui, il propose à notre regard Vagabondages éphémères, un roman polyphonique, où Gabriel est la première personne rencontrée.
Né à Limbé, en Haïti, Philomé Robert nous lance une double invitation : regarder dans le rétroviseur, le temps d’un cillement, sans perdre le nord – garder nos esprits et le sens des intérêts communs et démocratiques. Après tout, le rêve de Robert n’est pas personnel, ses ambitions, non plus. Il dit : Je rêve d’une Haïti qui entre enfin dans la modernité… Vagabondages éphémères vient à temps nommé, dans un contexte extrêmement difficile à tous égards et en tout lieu. À lire d’urgence!
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Robert, Philomé. 2022. Vagabondages éphémères, Caraïbéditions
1. https://haiticite.tumblr.com/post/109272956142/robert-philom%C3%A9-au-risque-du-journalisme
