Par Pierre-Raymond Dumas
Voici l’un des romans les plus originaux et déroutants de l’histoire des lettres canadiennes. Lequel? C’est un roman coup de poing. Avec un va-et-vient incessant entre fiction et portrait de groupe, il fait des incursions, des percées qui prennent pour prétexte la question de l’environnement pour aborder une kyrielle de questions sous l’angle à la fois personnel (le principal personnage) et collectif (la question des Peaux-Rouges, la question d’une région sous le feu des opérations d’extraction pétrolière, etc.). « Le club des miracles relatifs » de Nancy Huston, écrivaine, essayiste, poétesse, musicienne, nouvelliste, autrice de littérature jeunesse, traductrice, est aussi excitant que son titre. En l’état, c’est un roman ambitieux, mais on sait par la formation et le parcours de cette autrice féministe convaincue qui a étudié à la Sorbonne auprès de Roland Barthes et qui a fait également ses classes au sein du MLF, et les grandes lignes l’indiquent, que se dissimule un message autrement plus dense.
L’histoire de Varian avec sa famille dépareillée est loin d’être anecdotique puisqu’elle renvoie à d’autres histoires. Le fil entremêlé du récit est d’une complexité tout à la fois langagière et narrative. Mariant le français et l’anglais sans aucun tabou, capable de passer d’un genre à l’autre avec le même enthousiasme jubilatoire et la même exigence consommée, portraitiste sensible aux reflets psychologiques et aux plongées liées aux jonctions matricielles (l’exil, la mémoire, l’enfance, la folie, la maternité, la guerre, l’aliénation féminine, la poésie, l’imaginaire, et j’en passe), Nancy Huston qui a produit une œuvre prolifique et variée nous a habitués, depuis 1993 avec Cantique des plaines, roman écrit directement en anglais, Nord perdu (1999), sans oublier Lignes de faille (2006), Danse noire (2013), L’Espèce fabulatrice, (2008), à découvrir le monde avec des yeux grand ouverts, le cœur sous tension. Tout est trompeur à la surface, les sédiments de dualités avec des ombres intempestives, comme dans la composition à pas lourds que « Le club des miracles relatifs » illustre en surimpressions.
Parce que la tristesse éprouvante de Varian, des autres personnages – pas seulement féminins – comme Beatrix, Marnie, Leysa, Eileen – et masculins (le père en question Ross MacLeod pécheur en chômage, Darren et Johnny, Luka, Juan Camilo) est semblable au décor bariolé, mais froid (au sens propre comme au sens figuré) du site d’AbsoBrut et autres. Sous la plume de cette femme de lettres confirmée, on y trouve une pléthore d’indices et d’échos pas seulement littéraires (à commencer par Anna Akhmotova citée d’emblée, quelques classiques grecs et latins comme Homère, Hésiode, Eschyle, Aristophane, Pline, Lucrèce, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, Tsvetoïeva), mais musicaux (Boukman Eksperyans, Bach, Shakira, Wyclef Jean), picturaux (Le Cri de Munch), sociétaux, politiques, imaginaires, etc.
Il s’agit bien d’un roman sur l’art de tout embrasser, en tout cas, beaucoup, d’entretenir un suspense permanent (les dialogues coulent dans un gouffre sans fin qu’est la vie ici) avec le lecteur ou la lectrice, sur la performance continue, sur la fascination et l’attention à l’autre. Un roman sur les divers ordres d’altérités et de relations – prodigue jusqu’à l’érudition, électrique, sensible, enjouée, ouverte sur le monde et prolixe – qui rattachent Nancy Huston à son environnement global, son environnement physique.
L’histoire de Varian MacLeod, idéelle et erratique et l’intrusion d’autres histoires ou microhistoires (j’allais oublier celle de l’immigrante (d’origine) haïtienne Farah Chauvet (Indigo, 86) qui après avoir passé son enfance à Miami vit désormais à Lunéville avec son mari et sa fille) ou encore celle de la pute Marmie Vermilion (Rouge, 280) on ne peut plus paumée), trouvent une illustration dans ce qui est assurément le socle le plus solide et le plus ramifié du roman. L’invention vole haut, je veux dire cette inspiration qui touche aux limites du langage à l’égard des procédés stylistiques et fictionnels. Que dire de plus? Il est fort regrettable de ne plus lire Le club des miracles relatifs, mais il est difficile d’écrire à son sujet. Le chœur de voix fait exploser nos tympans. Mais, si larges qu’en soient la violence et la douleur, les occasions de juger ou de condamner chez Nancy Huston qui a obtenu plusieurs récompenses et distinctions, les ressorts de l’amour demeurent solides et fulgurants.
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Nancy Huston. Le Club des miracles relatifs. Actes Sud, 2016.