En s’installant à Trois-Rivières, en 2022, Fabina Joseph ignorait qu’elle deviendrait un jour la référence en ce qui a trait à la cuisine haïtienne en Mauricie. Portrait d’une entrepreneure qui n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agit de combler les cœurs et les assiettes des Trifluviens. Elle n’a pas non plus les pieds dans les plats.
Par Jean-Max St Fleur
Des dizaines de clients, manifestement venus d’horizons différents, affluent quotidiennement au restaurant « La belle haïtienne » situé au boulevard Sainte-Madeleine à Trois-Rivières. Certains s’y rendent pour les fameux plats authentiques haïtiens dont le délicieux griot, le riz collé ou le riz djon-djon. D’autres y vont pour les saveurs créoles traditionnelles agrémentées d’une touche contemporaine. « Le restaurant La belle haïtienne est l’un de mes coins préférés », témoigne une jeune Québécoise bien attablée au centre-ville.
Pourtant, il y a trois ans, il n’y avait aucun restaurant offrant un menu haïtien ou des plats mijotés aux épices créoles dans cette ville de quelque 150 000 habitants située sur la rive nord du Saint-Laurent, au Centre du Québec. « Je me rappelle le jour où j’ai déménagé dans cette ville très accueillante à l’été 2022, dit Fabina Joseph. J’étais tellement fatiguée que je ne pouvais pas cuisiner. Quand j’ai convenu de dénicher en ligne un restaurant où je pourrais trouver de la nourriture haïtienne, j’ai été étonnée de constater qu’il n’en existait aucun. »
La volonté et l’audace
Ce jour-là, Fabina a tout de suite compris qu’il y avait un besoin à combler dans cette région mauricienne qui héberge une belle frange de la diaspora haïtienne au Québec. La jeune femme veut certes oser, mais elle n’a alors pas les atouts suffisants. Elle n’a pas d’argent, elle ne connait pas grand-chose en entreprenariat et n’a personne qui pourrait l’orienter vers des sources de financement. Les seuls ingrédients dont elle dispose, c’est son expérience dans le domaine du service à la clientèle, son savoir culinaire, mais aussi et surtout son audace et sa bonne volonté. Elle décide quand même de se lancer. « Déterminée, disciplinée et persévérante, j’ai tout de suite commencé mes recherches. Parallèlement, j’ai commencé à cuisiner chez moi pour tester le marché », témoigne la jeune femme, fière d’apporter son grain de sel dans le secteur trifluvien de la restauration.
De bouche à oreille, l’information qu’une Haïtienne s’était mise à cuisiner des plats du pays natal a circulé aussi vite que l’odeur et la saveur de ses plats gourmands. Des voisins proches et même des clients éloignés ont commencé à passer des commandes. Et quand elle a su qu’il y avait un organisme qui pouvait l’aider à lancer son entreprise, ce fut comme du pain béni pour l’entreprenante cuisinière qui n’avait besoin que d’un point d’appui pour prendre son envol.
RESTAURATRICE QUI N’A PAS LES PIEDS DANS LES PLATS
En 2023, elle lance donc officiellement le restaurant « La belle haïtienne », grâce au support de l’organisme IDE Trois-Rivières qui finance et accompagne les jeunes entrepreneurs. « Je n’avais pas encore les fonds quand j’ai signé mon bail. J’ai quand même eu l’audace d’écrire sur la porte du local « Ouverture bientôt », se rappelle-telle avec un grand sourire.
Au début, cela n’a pas été facile, convient-elle. Les travaux de réfection du boulevard Sainte-Madeleine entamés par la ville des Trois-Rivières en mai 2024 sont arrivés comme un cheveu dans la soupe. Durant cette période de vache maigre, Fabina était loin d’être dans son assiette. « J’ai alors perdu d’un coup 70 % de mon chiffre d’affaires, soupire-t-elle. Les clients ont cessé de venir dans mon restaurant, tandis que je devais continuer à payer mes factures. La situation était difficile aussi pour mes employés. »
Malgré ce revers, la restauratrice n’a pas lâché la patate, ni trainé ses casseroles ailleurs. Avec son équipe, elle a retroussé ses manches et redoublé d’efforts. « Nous avons mis les bouchées doubles pour continuer à offrir un très bon service à nos clients », déclare la restauratrice. Ses efforts ont été payants. La jeune entrepreneure vient d’acquérir un nouveau local situé au 1480 rue Laviolette à Trois-Rivières, plus spacieux et accueillant, facilitant ainsi les diners en groupe.
Fabina ne compte pas en rester là, elle qui n’est pas du genre à y aller avec le dos de la cuillère. Son rêve est d’élargir son marché et de créer des filiales un peu partout au Québec. « Mon objectif est de créer un lieu où la cuisine haïtienne est célébrée et partagée, tout en garantissant une expérience mémorable pour chaque client », conclut-elle, heureuse comme un poisson dans l’eau.