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    De si jolies petites plages : miroir d’une humanité qui perd son âme

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    Par Claude Gilles

    Mémoire d’encrier insuffle un regain de vitalité à l’œuvre de Jean-Claude Charles. Pour que cet immense écrivain disparu en 2008 ne tombe pas dans l’oubli, la maison d’édition Mémoire d’Encrier a convenu de rééditer tous ses ouvrages. De si jolies petites plages, récit-reportage de 280 pages, réapparaît ainsi dans nos librairies.

    De la sorte, l’œuvre de Jean-Claude Charles ne le suivra pas dans la tombe. Elle trouve, bien au contraire, un regain de vitalité et de visibilité depuis que les éditions Mémoire d’Encrier ont entrepris la réédition complète des productions de celui qui s’était toujours présenté comme un nègre errant, un nomade aux semelles de vent.

    Après Négociations, Manhattan Blues, Bamboola Bamboche, la maison d’édition remet De si jolies petites plages entre les mains des lectrices et des lecteurs. Paru pour la première fois en 1982, ce récit ethnographique du milieu carcéral est introduit dans les librairies comme si c’était la première fois. La migration, thème central de ce récit-reportage, demeure brûlante, comme le souligne le nouvel éditeur. En adoptant la méthode compréhensive – conçue par Max Weber – de la réalité en considérant les choses comme des « actions sociales », l’écrivain accorde la parole à ceux qui vivaient l’exode dans leur chair souvent blessée. À ceux qui traversaient l’océan Atlantique sur des embarcations de fortune au péril de leurs vies.

    De si jolies petites plages est, en effet, le récit de réfugiés haïtiens qui fuyaient la presqu’île caribéenne au début des années 1980. La tragédie de ces migrants emprisonnés quand ils ne sont pas noyés est narrée dans le livre documentaire de Jean-Claude Charles. Dans ce livre coup de poing (4e de couverture), le père du concept de l’enracinerrance se fait citoyen en menant à fond son investigation sur des réfugiés de la mer cherchant à atteindre les côtes de la Floride.

    Ce projet, analyse Stéphane Saintil, « porterait un potentiel politique insoupçonné dans le sens qu’il appellerait de nouvelles manières de faire littérature et d’être ensemble, la libre circulation des hommes, des idées et des créations selon les mots de Charles »[1]. Dans cette perspective, « son œuvre garde, selon Parisot, toute sa pertinence dans le contexte post-colonial marqué par la migration des murs pour paraphraser le poète James Noël »[2].

    L’enquête de Jean-Claude Charles jette l’opprobre sur les lois et institutions américaines. Sur les États-Unis tout court. Le grand voisin d’Haïti démontrait déjà, à l’époque, que l’infâme traitement infligé aux réfugiés de la mer n’est que l’iceberg d’une humanité qui perd son âme. Cet élan de dénonciation est soutenu par des faits témoignant de la désillusion de ceux et celles qui voyaient dans la Floride un carrefour fraternel dans les Caraïbes.

    Le natif d’Haïti – l’ancienne colonie Saint-Domingue sur laquelle le sang séché depuis longtemps des esclaves est omniprésent – contextualise, compare et relate des statistiques pour faire de De si jolies petites plages le livre magnifique qu’il est aujourd’hui encore. Dans Noyades, le quatrième des onze textes du livre situé dans le temps et l’espace, décrit La Nativité, un petit voilier en bois pouvant transporter au maximum dix personnes, qui tangue au large. Il y avait soixante-trois personnes à bord, en quittant Cap-Haïtien. Elles arrivent enfin au bout des quelque treize cents kilomètres qui séparent leur port d’origine de la Floride.

    « La Nativité, bringuebalée à moins de cinq cents mètres devant la crique de Hillsboro, petite communauté résidentielle au nord de Fort Lauderdale, chavire » (pp. 89-90). Bilan ! Trente-trois de ces réfugiés de la mer morts par noyade. Des corps restaient coincés sous la coque du bateau.

    Malgré ces nombreux corps repêchés, quand ils ne sont pas mangés par les requins, une diaspora haïtienne se dessine, puis s’établit en Floride au point de modifier le portrait de la population de Miami et de ses environs. Page après page, Charles laisse défiler des histoires qui ne laissent pas les lecteurs indifférents. Un voyage aller-retour entre Haïti, la Floride et souvent les Bahamas, l’autre Eldorado rêvé des réfugiés de la mer des années 1980.

    L’historicité de l’émigration haïtienne se décline en trois vagues chez Charles. La première remonte aux années 1920. Il s’agissait des braceros, coupeurs de canne de la République dominicaine et de Cuba. Ce trafic annuel de main-d’œuvre a une référence littéraire : Gouverneurs de la rosée, roman de Jacques Roumain.

    La première crête documentée de cette émigration remonte au 12 décembre 1972, date de l’arrivée des soixante-cinq premiers réfugiés de la mer sur les côtes de la Floride, aux États-Unis. Ils ont été emprisonnés pour « délit de recherche du bonheur », chef d’accusation joliment nommé par Jean-Claude Charles.

    Beau travail de mémoire.

    ___________________________

    Charles, Jean-Claude. 2016. De si jolies petites plages, Mémoire d’Encrier, Montréal, Québec.


    [1] https://journals.openedition.org/studifrancesi/49158

    [2] Ibid

    L’écrivain Jean-Claude Charles. Crédit photo: Patrick Bardjpg

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