En dépit de dures épreuves surmontées, Nathalie Lafond consacre trente-quatre ans de sa vie à l’éducation des enfants. Elle a investi le plus clair de son temps à donner aux jeunes ce qu’elle n’a pas reçu dans son enfance : protection et joie de vivre. Récit de vie d’une enseignante qui sait inspirer et motiver ses élèves.
Ceux qui ont la chance de fréquenter les couloirs de l’école primaire Eurêka, à Laval, ont sûrement déjà croisé cette enseignante empathique. Elle offre toujours un brin de sourire à tout le monde sur son passage. Nathalie Lafond cumule trente-quatre ans de carrière en enseignement. Cette éducatrice québécoise est surtout reconnue pour son engagement auprès des jeunes issus, en grande majorité, des communautés noires et immigrantes de Laval. « Je suis profondément attachée à ce que je fais. J’enseigne par plaisir et par amour pour les enfants », confie-t-elle.
Ce plaisir et cet amour sont apparents dans sa salle de classe. Aucun détail pouvant contribuer à l’apprentissage et à la performance des enfants ne lui échappe : matériel didactique et pédagogique adapté, équipements parascolaires, confort, ergonomie et même un baby-foot. « J’essaie de trouver les meilleurs moyens afin d’avoir une influence significative sur l’engagement et la concentration de chacun de mes élèves. Je travaille aussi leur sens des responsabilités, leur créativité. J’essaie d’aiguiser leur goût de l’effort, de les aider à réaliser leur plein potentiel afin qu’ils deviennent des citoyens et des citoyennes à part entière », souligne-t-elle.
Enfance volée
La nature n’a pas voulu lui donner d’enfant, mais Nathalie Lafond n’en a cure. Grâce à son métier, c’est comme si elle en avait mis au monde des centaines. C’est qu’elle entoure chacun de ses élèves avec des trésors de bienveillance et d’amour maternel. « J’aime beaucoup Mme Nathalie, témoigne Jonathan, un de ses élèves. J’aime quand elle oublie quelque chose et qu’elle dit : sac à papier. Elle est drôle. Elle est sympa. Elle veille sur nous et nous donne beaucoup d’attention. »
Mme Lafond n’a pourtant pas reçu autant d’attention dans son enfance. Son jeune âge est peuplé de mauvais souvenirs et de dures épreuves. « J’ai grandi et évolué dans un environnement difficile jusqu’à l’âge adulte, explique celle considérée aujourd’hui comme une icône du milieu scolaire public lavallois. J’ai connu la pénurie alimentaire, l’inattention parentale et la délinquance juvénile. »
En effet, son adolescence n’a pas été une partie de plaisir. « Entre douze ans et seize ans, j’ai été abusée sexuellement à plusieurs reprises avec des menaces de couteaux sous la gorge », raconte-t-elle, les yeux rougis et la voix hachée par l’émotion. Elle a été placée pendant plusieurs années en adaptation scolaire et cherchait surtout à gérer ses crises d’angoisse et d’anxiété.
Heureusement en secondaire, Nathalie Lafond a eu la chance d’avoir l’appui de l’abbé Pierre Labossière qui a beaucoup cru en elle et qui l’a aidée à sortir la tête de l’eau. « Toute jeune, je me suis dit que je devais absolument protéger les enfants afin qu’aucun d’eux ne vive la même chose que moi. »
Ce combat, elle le mène avec succès au sein de l’école Eurêka. Dans sa classe, elle s’assure que les enfants aient un minimum d’information sur l’intimidation et les moyens de s’en protéger. « Si je m’en suis sortie, les autres le peuvent aussi », croit-elle.
Femme résiliente
Mme Lafond est une battante et une femme laborieuse. Toute jeune, elle a appris à coudre. Elle a eu plusieurs petits boulots. Elle a, entre autres, travaillé comme monitrice de parc, animatrice de camp de jour, chef-monitrice et chargée de programme à la Ville de Laval avant d’intégrer le milieu de l’enseignement. Elle y fera carrière malgré de graves problèmes de santé. Victime en plein travail d’un accident ischémique transitoire (Un mini AVC), elle a été opérée au cerveau et a dû enseigner pendant plusieurs semaines avec des mouchoirs dans ses narines. Même avec ses problèmes aux genoux, elle a su rester debout. Du haut de ses 57 ans, on ne sait pas d’où elle puise son énergie pour continuer à travailler ainsi, mais on peut voir sa passion dans chacun de ses gestes. « Manquer l’école me rend malade, dit-elle. Je manque un jour de classe seulement en cas d’extrême urgence. »
Dernière tour de classe
Cette éducatrice de choc prendra sa retraite en juin 2025. « J’ai tout donné », dit-elle, satisfaite. Même après sa retraite, elle entend continuer à offrir ses services comme bénévole, soit à la communauté scolaire ou dans des organismes venant en aide aux femmes battues ou abusées sexuellement. Avec une pointe d’humour, elle nous dit « avec tout ce que j’ai investi, j’aurais pu construire un chalet. Mais j’ai plus que cela. J’ai le sentiment du devoir accompli. J’ai du bonheur. Je suis choyée par la vie. »