Simple plaquette dans un format réduit Ma peau aime le Nord de Manon Nolin frappe par sa densité. Dans ce recueil dont le titre dégage une aura étrange, la comédienne et poète innue mêle un imaginaire presque naturel – écologique en somme – et des mises en scène enfiévrées de prêtresse. Partons d’un constat tourmenté : si vous lisez Ma peau aime le Nord, c’est que vous aimez la poésie. Car comment ne pas lire jusqu’au bout Manon Nolin puisqu’elle suscite une émotion forte? Comment l’oublier quand son authenticité et son charme sont irrésistibles? Comment ne pas se laisser emporter par elle, expression d’une témérité inconnue, d’une langue chatoyante, d’un regard aux grands yeux ouverts.
Tout ce recueil regorge d’images très déroutantes à la foi par leur délicatesse, par leur éloquence. Le sourire malgré le malheur, la douceur malgré le climat, le mystère en plus, incroyablement inspirée, habitée par des fantômes du passé traumatique de ses ancêtres, elle raconte le monde comme elle va, dans ce pays d’autochtones et de colons vivant séparément, où chaque poème est un tableau avec une âme propre, chaque poème est une histoire vivante. Vulnérabilité, résistance, douleur et grief explosent au visage du lecteur, devant ces trois traits épurés de vie qui deviennent des témoignages visibles des premiers habitants du Canada. Et par-dessus tout une attention tendre, sans facilité ni lassitude.
La poésie de cette « femme innue colonisée », imprégnée des tragédies d’un pays bouleversé par les meurtres et les traumatismes, offre un témoignage poignant des épreuves ancestrales et transgénérationnelles.
Manon Nolin, elle-même endolorie, prête sa voix à ses ancêtres pour révéler l’énergie de leur passion pour la nature et les mystères y affèrent. Insoumise et férue de beauté, elle crée aussi une sonorité envoûtante, empreinte de sensibilité et d’élan vital.
Bref, ce recueil de trois poèmes décrit une poésie très flamboyante, qui aborde avec obsession la question (intemporelle) des origines. Ainsi, au-delà d’un lyrisme omniprésent, qui mélange les formes, émergent des références plus ou moins matérielles et quotidiennes. Une manière d’explorer la continuité du temps avec gravité autant que philosophie, entre passé et créativité.
EXTRAITS
« ma vie traquée
« par une nuit sans lune
« mon âme illuminée à l’aube
« par une divination furieuse
« je suis graine rouge
« je suis Peau-Rouge
« j’écoute le chant des oiseux
« dans un premier rayon de soleil
« pour apaiser mes craintes » (p.9)
« tiens-toi
« débout
« va devant
« lève-toi
« guerrière
« va d’un bon pas
« un lien sacré nous unit
« nous sommes
« les femmes
« sauvage » (p.44)
« assise sur un rocher
« je regarde la mer
« dans l’attente de quelque chose
« ou de quelqu’un soudain un étrange nuage » (p.56)
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Manon Nolin. Poésie Ma peau aime le Nord. Éditions HANNENORAK, Québec, 2016