Par Jean-Bart Souka

En 1953, En attendant Godot faisait son entrée en scène à Paris. Samuel Beckett proposa dans son temps un théâtre de la dérision et qui prend acte des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Quelque sept décennies plus tard, un metteur en scène d’origine haïtienne transpose les faits dans les Caraïbes. L’adaptation prend le sens de notre ère.


Un soir de l’automne 2021, l’idée rationnelle de Ralph Civil d’adapter En attendant Godot, en transposant les faits dans les régions côtières des pays bordiers des deux bassins des Caraïbes, devenait une marque à Montréal. La ville fut témoin de la grande première de cette relecture inspirée de croyances et de rituels entourant le vodou.

Écrit en 1949 après les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale, En Attendant Godot est l’une des pièces les plus interprétées et adaptées de Samuel Beckett. L’auteur s’évertuait à théâtraliser la perte de sens de l’existence tout en évoquant un monde en quête d’une humanité qui s’égare.

Dans une perspective ingénieuse, le metteur en scène et dirigeant de la Compagnie Théâtre Créole a figurativement initié Godot au vodou, culte de lignage jouant un rôle cardinal dans la création de la première république noire. Cette acclimatation illustre ce que Brigitte Purkhardt définit comme la « féconde polysémie des œuvres de Samuel Beckett interprétables à l’infini ».

L’aventure laisse par conséquent présager un épilogue tonitruant alors que la pièce devrait être jouée dans diverses régions du Québec et ailleurs.

Considérant l’adaptation comme acte créatif, Ralph Civil ajouta sa part de drôlerie, flirtant à la fois avec le réalisme merveilleux et l’humour à l’œuvre intemporelle de Beckett. Cette complémentarité apporte à l’atmosphère de la pièce réputée absurde une couleur singulière et qui colle avec le monde aussi imaginaire que singulier du texte. Les rituels de zombification souvent associés au vaudou ainsi que les onomatopées spécifiques aux langues traditionnelles telles que les créoles des Antilles fusaient dans la mise en scène.

Des jeux tout aussi traditionnels et spécifiques aux Antilles constituant un vaste archipel réparti entre la mer des Caraïbes.
L’ensemble de ces facteurs ajouté aux registres ou niveaux de verbes des acteurs – Marc Emmanuel Dorcin, Réginald Germain, Marie Thurlie Clairvil, Cawn Mala Osné et Joepitz Dorsainvil – garantit la dimension tragique de la pièce écrite dans le contexte de l’après-guerre et des camps de concentration.