Ernestine, héroïne de détermination et de vérité

Par Donald Dorléant

Originaire d’Haïti, Samson Pierre a publié à Ottawa Les héritiers de la terre brûlée, œuvre d’une grande justesse poétique et d’une limpidité sans bornes. Ce roman récrée un monde où Ernestine est déterminée à percer le mystère de la faillite de la culture des plants de bananiers pendant l’occupation américaine. Il explore les liens entre l’identité culturelle, la résistance et l’espoir, pour conséquemment livrer une réflexion aux lecteurs sur la quête de vérité et la volonté humaine face à l’adversité. Il se veut à la fois un roman historique, un drame psychologique et une critique sociale (Adam et Revaz, 1996) sur les enjeux de la dévastation de la culture bananière sans omettre les différents thèmes qu’il aborde comme la domesticité, les problèmes de préjugé couleur, la fuite de Florian, l’homme qui a défendu l’honneur de Ernestine, le voyage de Ernestine à destination du Canada et la disparition d’un soldat américain. 

Ernestine, une petite fille de la campagne dont la mère Léa est morte pendant l’accouchement de ses jumeaux, était allée vivre avec sa marraine à Rochelet, localité de Jacmel. À son retour d’un voyage de pèlerinage, elle a été violée par un soldat américain du nom de Leroy Marshall. Ce fut Florian qui vengea son honneur. Cet incident avait créé une tension entre les autorités haïtiennes et les Américains. En fait, ce viol fut suivi d’une grossesse non désirée. La famille Turgot a envoyé Ernestine au Canada, dans la province de Québec, pour accoucher de son enfant, car son accouchement à Jacmel aurait pu avoir des conséquences négatives pour cette famille. En dépit de son voyage, Ernestine avait maintenu un contact étroit avec sa famille adoptive.

Entre-temps, les bananiers, qui constituaient la principale source de revenus pour la famille, commençaient à dépérir. Ernestine tente de résoudre le mystère de la faillite des cultures, causée par la dégénérescence des plants de bananiers pendant l’occupation américaine du pays.

Au fil des pages de l’histoire, Ernestine reçoit l’aide d’un prélat canadien, dont les connaissances en botanique ne semblent pas avoir de bornes, pour découvrir la vérité quant aux intentions réelles des Américains d’endiguer le développement des pays du tiers-monde.

Ernestine est un personnage complexe et attachant dans Les héritiers de la terre brûlée. Elle est décrite comme étant une fille forte et résiliente, douée d’une grande intelligence et d’un esprit pétillant. Malgré les épreuves et les difficultés auxquelles elle est confrontée, Ernestine demeure déterminée à se battre pour sa survie et celle de ses proches. Elle est une fille d’une grande beauté, avec des traits marqués par la vie et une aura de sagesse. Elle est outillée d’un profond sens de justice et de compassion; elle se donne même la mission d’aider ceux qui sont dans le besoin. Elle est prête à tout sacrifier pour protéger sa famille et sa communauté.

Le mystère de la faillite des cultures bananières

Ernestine, personnage central dans l’histoire, joue un rôle de leader dans la lutte pour la survie dans un monde postapocalyptique. Elle reste un personnage inspirant et inoubliable. Ernestine se lance dans une quête pour résoudre le mystère de la faillite des cultures de bananiers. Elle est intriguée par la dégénérescence des plants et soupçonne que cela soit lié à l’occupation américaine du pays : « La plantation entière était inondée. Des milliers de bananiers s’étaient cassés en deux » (Pierre, 2019 : 68).

Engagé dans la découverte de la vérité, Turgot, tout en interrogeant les agriculteurs locaux, consulte des experts en botanique et se plonge dans les archives pour trouver des indices. Au fur et à mesure que l’histoire avance, Turgot découvre des preuves accablantes d’un complot visant à affaiblir délibérément les cultures de bananiers pour des intérêts économiques. Il réalise que l’inspecteur américain était impliqué dans cette machination et que les conséquences ont été dévastatrices pour les agriculteurs locaux.  

Le combat qu’Ernestine mène à côté de Turgot pour la justice devient un symbole de résistance et d’espoir pour les habitants du pays. À travers cette intrigue, Turgot comme Ernestine incarne la détermination et la persévérance, tout en dénonçant les conséquences néfastes de l’exploitation économique. Malgré les échecs et les difficultés, Turgot continue de persévérer dans sa quête, refusant d’abandonner tant qu’il n’aura pas trouvé la vérité. Il est prêt à surmonter les revers et à faire face aux obstacles dressés sur son chemin.

La quête de vérité est le moteur d’Ernestine. Elle ressent un profond désir de découvrir la réalité cachée derrière les événements et de faire jaillir la lumière sur les injustices commises. Elle inspire ceux qui l’entourent et montre que même face à l’adversité, il est possible de se battre pour la justice et la vérité.

La vérité botanique du prélat

Dans Les héritiers de la terre brûlée, Ernestine trouve une alliée précieuse en la personne d’un prélat canadien aux vastes connaissances en botanique. Il s’agit du père Beauséjour. Ernestine découvre que ce prélat, qui reste anonyme pour des raisons de sécurité, est passionné par la faune et la flore du pays qu’il continue d’étudier discrètement malgré l’occupation américaine. Ce prélat se révèle être un soutien inestimable pour Turgot dans sa quête de vérité sur les intentions réelles des Américains d’endiguer le développement des pays du Tiers-Monde. 

Grâce aux connaissances en botanique, du père Beauséjour, le prélat canadien, Ernestine est en mesure d’apporter des réponses à Turgot. Ce qui l’aida à trouver des éclaircissements inattendus (Pierre, 2019 : 431). Ce prélat et Turgot travaillent en étroite collaboration pour examiner les échantillons de plantes et analyser les données, révélant petit à petit des preuves concrètes des pratiques illégales et manipulatrices des Américains. Le résultat des recherches du père Beauséjour apporte une perspective unique à l’enquête de Turgot, combinant son expertise en botanique avec une compréhension plus globale des relations internationales.

En travaillant ensemble, Turgot et le prélat canadien parviennent à rassembler suffisamment de preuves pour dénoncer ces intentions cachées. Leur collaboration démontre que la vérité peut être trouvée et que la connaissance est une arme en puissance pour contrecarrer les injustices. Ce partenariat entre Turgot et le prélat Beauséjour avec la complicité d’Ernestine renforce le message du roman sur la question de l’entraide et de la coopération dans la quête de la vérité et de la justice. Il met en avant le rôle crucial des connaissances et de la compréhension interdisciplinaire dans la lutte contre l’exploitation des pays du tiers-monde. 

Un roman formateur et suggestif

Samson Pierre utilise des dialogues réalistes et des scènes d’actions suggestives pour bien camper ses personnages et maintenir l’intérêt du lecteur tout au long de l’histoire. Ce roman se distingue par sa richesse documentaire et sa fidélité aux faits historiques (Philippe, 1996). L’auteur a réalisé un travail minutieux visant la restitution du contexte social, politique, économique et culturel de l’époque. Il a une écriture fluide, rythmée et captivante, frôlant habilement un mélange de fiction et d’histoire.

Samson Pierre crée des scènes vivantes, voire touchantes basées sur les sentiments et les passions des personnages : Rodrigue C. Turgot, Abélard Turgot, Alfred, père Beauséjour, l’archevêque De Visiers, entre autres. Il décrit avec précision les lieux, les personnages, les événements, les enjeux et les conséquences de la dévastation des plants de bananiers (Pierre, 2019). Par sa force narrative et son style littéraire,  Les héritiers de la terre brûlée parvient à donner vie à une époque lointaine et méconnue, tout en incitant à la  réflexion sur les thèmes universels de la justice et de la dignité humaine. C’est une belle œuvre instructive.

Samson Pierre Natif de Jacmel, Samson Pierre a effectué des études en Haïti et à Oklahoma State University, aux États-Unis. Arrivé au Canada, en 1967, il a obtenu une maîtrise en littérature française à l’université Carleton, Ottawa. Il a poursuivi sa carrière dans l’enseignement dans cette ville. Retraité et bénévole chez les Sœurs de Sainte-Croix, il se révèle un expert dans le jardinage et l’art culinaire.

Références bibliographiques

Adam, Jean-Michel, et Françoise Revaz. 1996. L’analyse des récits. Mémo, Lettres 22. Paris: Éditions du Seuil.

Philippe, Gilles. 1996. Le roman: des théories aux analyses. Mémo, Lettres 26. Paris: Éditions du Seuil.

Pierre, Samson. 2019. Les Héritiers de La Terre Brûlée: Roman. Ottawa, Ontario: Éditions Samlit.