Elles sont venues d’ailleurs et sont arrivées jeunes au Québec. Elles portent en elles-mêmes le courage et le désir d’écrire, de conter la joie et la souffrance des terres natales laissées à la dérive. Elles éprouvent le plaisir de bricoler les mots pour restituer chaque parcelle de neige, chaque brin de verglas et chaque goutte de grésil. Elles font partie de rares figures haïtiennes de l’écriture féminine ayant marqué l’époque postmoderne du Québec. Et elles contribuent avec des personnages imaginaires hauts en couleur à hisser le flambeau de l’interculturalisme québécois. Il est question, ici, de trois figures littéraires emblématiques de l’écriture : Marie-Célie Agnant, Stéphane Martelly et Joujou Turenne. Trois écrivaines incontournables vivant dans la diaspora au Québec que ce texte propose de dresser, l’une après l’autre, un portrait pour ce qu’elles ont apporté en termes de contribution littérature.

Marie-Célie Agnant ou la voix sublime

Marie-Célie Agnant est une écrivaine québécoise d’origine haïtienne. Elle a quitté Haïti en 1970 en fuyant le régime des Duvalier pour venir s’établir au Québec. Dans un entretien avec Thomas Spear, Marie-Célie Agnant déclare qu’elle a été hantée par la dictature de Duvalier au point de dire à propos de ce régime : « L’enfance sous Duvalier, c’est la peur et le désespoir du silence ». Elle a enseigné pendant plusieurs années et parallèlement, elle était traductrice, justement, avant de se consacrer à l’écriture. De l’expérience d’écriture, elle finit par insuffler avec force et minutie le thème de la mémoire dans son œuvre. Dans son œuvre globale, elle valorise la médiation littéraire en démontrant que l’écriture comme la lecture constitue un moyen pour cultiver et sauvegarder la mémoire.

Marie-Célie Agnant a publié poésie, romans, nouvelles et littérature jeunesse. Elle traite de la mémoire de l’exil dans le roman La dot de Sara qu’elle a publié à Montréal, vingt-cinq ans après avoir laissé Haïti. Dans ce roman, elle raconte l’histoire de Marianna. Le lecteur est appelé à bien y observer que Mariana vit dans deux mondes : celui de ses rêves d’enfance passée en Haïti et celui de l’exil vécu à Montréal auprès de sa fille et sa petite-fille. Marie-Célie Agnant est une écrivaine pour qui l’écriture est un outil de communication avec ses lecteurs. Elle écrit non seulement pour les adultes, mais aussi pour les enfants. En 1999, elle fait paraître Alexis d’Haïti, roman extrêmement beau et envoûtant, lu dans les écoles québécoises et aux États-Unis.

En 2001, elle a publié Le livre d’Emma. Ce roman est placé sous le thème de l’esclavage. Marie Célie Agnant y décrit les épreuves vécues par les femmes esclaves dans les Antilles et la difficulté de légitimer ce pan de l’histoire encore aujourd’hui à travers une écriture à la fois poétique et puissante. Le Prix Alain-Grandbois de l’Académie des Lettres du Québec lui a été décerné en 2017 pour son troisième recueil de poésie, Femmes des Terres brûlées.

En février 2023, elle a été nommée poète officielle du Parlement pour un mandat d’un an. Marie-Célie Agnant, née à Port-au-Prince en 1953, est la dixième poète officielle du Parlement. Dans une entrevue qu’elle a accordée à Valérie Lessard dans La Presse, elle rêve de faire de sa « victoire sur le silence une passerelle » dans l’intention de promouvoir entendre les voix des enfants et des jeunes du pays. Dans cette mission si délicate, elle est chargée d’écrire des œuvres poétiques dans le cadre des événements du Parlement du Canada.

Stéphane Martelly : critiquer et créer

De son côté, Stéphane Martelly, née à Port-au-Prince en 1974, est à la fois écrivaine et peintre. Elle a laissé Haïti pour émigrer au Québec en 2002. Elle est docteure en littérature de langue française. Elle est chercheuse à l’Université de Sherbrooke depuis 2019. Elle s’adonne à une approche transdisciplinaire en littérature en valorisant l’esprit critique et l’acte de création afin de permettre aux lecteurs de mieux découvrir les limites de l’interprétation.

En 2001, elle a publié chez L’Harmattan une excellente monographie : Le sujet opaque. Une lecture de l’œuvre de Magloire Saint-Aude. En 2016, elle publie un essai en recherche-création : Les Jeux du dissemblable. Folie, marge et féminin en littérature haïtienne contemporaine. Elle est cette figure de la critique et de l’acte de création qui, par sa manière de voir le monde, conçoit une approche toute particulière tant dans l’acte de critiquer que de créer une œuvre littéraire. Elle écrit des poèmes et des fables. En Haïti, l’œuvre poétique de Stéphane Martelly a un accueil chaleureux pour la dimension et la profondeur qu’elle offre aux lecteurs. Elle publie Folie passée à la chaux vive (2010), La maman qui s’absentait (2011), Inventaires (2016) et L’enfant-gazelle (2018).

Joujou Turenne ou la parabole d’une fine conteuse

 Joujou Turenne, née en 1961 au Cap-Haïtien, est une conteuse fortement appréciée tant dans la diaspora haïtienne qu’en Haïti. Elle s’intéresse au conte. Elle y intègre le chant et la danse pour capter l’attention de son auditoire et de ses lecteurs durant ses spectacles. Elle est donc une artiste transdisciplinaire, car elle jongle le conte à la danse, à la poésie, au chant et aux arts de la scène. Voilà donc une écrivaine pour qui le conte porte la marque indélébile d’une parole de semeur, à la fois franche et pleine de véracité. Elle vise aussi à toucher les cœurs des passionnés de la littérature dans toutes les villes du Québec, d’une région à une autre.

En 1998, elle a publié son premier conte : Joujou, amie du vent. Elle est à la fois comédienne et scénariste. Elle a incarné avec brio le personnage passe-Tourelle dans la télésérie pour enfants en 1987 et en 1992. Elle a joué le rôle de conteuse et de scénariste dans la télésérie Mon amie Maya entre 1990 et 1996.

Joujou Turenne a fait des études en psychologie et en récréologie à l’Université d’Ottawa. C’est à partir du début des années 1990 qu’elle a décidé de se consacrer entièrement à l’écriture et au récital de contes. Depuis plus de trente ans, elle livre une parole conteuse, férocement intelligente et riche, dans de nombreux festivals internationaux, de musées et d’événements culturels au Québec, au Canada anglais du Yukon à Halifax, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient. Bref dans la Caraïbe. C’est ce qui fait d’elle une conteuse exemplaire, prometteuse, sachant manipuler l’acte de création et le talent.

Voilà donc trois figures littéraires remarquables de l’écriture féminine au Québec que personne ne peut passer sous silence, car elles créent des œuvres d’une grande qualité et transcendent le Québec postmoderne en transcrivant le réel. Elles constituent trois voix, trois paroles à la fois vivantes et magnifiques. Elles représentent pour ainsi dire trois formes d’encre noire d’une grande habileté que chaque lecteur apprend, selon son goût et sa vision du monde, à découvrir pour mieux édifier dans sa vie.