Alexis Si Jacques Stephen Alexis vivait encore ou n’avait pas été capturé, torturé, porté disparu et probablement assassiné par les sbires de François Duvalier, il aurait cent ans cette année. Montréal se souvient de celui qui est connu pour ses prises de positions politiques contre la dictature ainsi que sa conception du réalisme merveilleux.

Par Renel Exentus

Dans la soirée du 19 novembre dernier, la Société de diffusion et de recherche dans la musique haïtienne (SDRMH) et le Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDHICA) rendaient hommage au médecin, écrivain et militant révolutionnaire qui s’est illustré par sa résistance à la féroce dictature de François Duvalier, mais surtout par son œuvre romanesque demeurant essentielle à toute approche de la littérature haïtienne.

La salle de spectacle du CÉGEP Ahuntsic a accueilli le concert de musique savante à la hauteur du personnage. Assorti de lectures scéniques, l’événement a permis l’articulation d’une partie de l’univers romanesque et poétique d’Alexis au rythme d’une variété de musiques allant des chants vodouesques traditionnels d’Atibon à l’exécution des pièces de Cervantes, Lina Mathon Blanchet et d’Occide Jeanty.

Conçu en deux parties, l’événement commence avec la lecture des extraits de Compère Général Soleil, Les Arbres musiciens, L’espace d’un cille[1]ment, Romancero aux étoiles. Ces morceaux littéraires sont entrecoupés par des extraits de L’étoile absinthe de Zulma et Ayiti, Chants et liberté de Joujou Turenne. Loin d’être linéaire, la mise en scène de ces morceaux se combine aux sonorités du lambi et de la trompette de Frédéric Demers.

Par ailleurs, l’interprétation des morceaux musicaux populaires du nord d’Haïti par Atibon révèle un aspect important dans le parcours d’Alexis. Étant à la fois poète et militant révolutionnaire, ce dernier manifeste pendant toute sa vie une grande curiosité pour les cultures populaires. Car il a compris que l’on ne peut pas contribuer à améliorer voire changer une situation sociale si on ne la connaît pas.

Dans l’esprit d’Alexis, s’engager pour le changement en Haïti suppose une connaissance fine de la réalité du peuple haïtien. Propulsée par le battement des calebasses, la voix de Atibon a, entre autres, amené le public dans les profondeurs de l’âme paysanne haïtienne à travers des chants qui charrient non seulement les séquences héroïques des luttes pour l’indépendance, mais également l’aspiration de tout un peuple à la liberté. Par ses vibrants chants, Atibon met en lumière l’intérêt qu’Alexis a toujours montré pour les traditions populaires haïtiennes.

Ensuite, un quintette à vent plonge le public dans l’univers esthétique de la pianiste et compositrice Lina Mathon Blanchet. En interprétant son Conte folklorique haïtien, il permet de mettre à jour l’âme populaire à travers un autre prisme musical. Par ailleurs, conformément à l’esprit d’ouverture d’Alexis, le quintette à vent nous transporte loin des rives haïtiennes pour explorer le fonds musical cubain. En ce sens, plusieurs pièces musicales sont interprétées sous les applaudissements répétés du public. Par l’écoute active, celui-ci entrevoit la communion des peuples caribéens à travers les méandres des touches mélodiques de Cervantes et de Saumell. Loin d’être un dépaysement, c’est une bonne façon de saluer la mémoire d’Alexis qui a su exprimer dans son univers poétique et romanesque l’unité des peuples caribéens en scrutant les enjeux sociaux d’exploitations et de domination.

Le concert s’achève avec l’interprétation de deux pièces du célèbre musicien haïtien Occide Jeanty : Grande marche funèbre et 1804 ou Dessalines. Exécutée par l’Ensemble d’harmonie sous la direction de Frédéric Démers, la première pièce a un sens particulier dans la mesure où Alexis n’a pas eu de funérailles.

 En ce sens, « Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture », le titre d’un documentaire d’Arnold Antonin sur les circonstances de sa disparition Jacques Soleil, est très invocateur. Dans le contexte de cet hommage, l’exécution de la marche funèbre semble une façon symbolique de faire ses funérailles. En outre, la pièce 1804 s’inscrit dans une autre perspective. Comme une marche guerrière, il s’agit de saluer l’héroïsme et l’intrépidité de nos aïeux.