Par Jean-Bart Souka

Le coronavirus n’a pas fait que des ravages depuis son éclosion. Au milieu du désarroi causé par la pandémie, une effervescence de créations artistiques s’est aussi manifestée. Tradisyon, titre du récent opus de Wesli Louissaint, témoigne de la capacité des arts à se réinventer. Jean-Bart Souka vous propose une immersion dans l’univers de la création musicale d’un « immigrant de luxe ».

C’est à travers d’un voyage musical et littéraire au cœur d’Ayiti, nom de la presqu’île caribéenne désignant terre haute et d’inspiration, que Wesli Louissaint convie les aficionados de musiques métissées. Dans son Tradisyon, officiellement lancé à l’édition 2022 du Festival international de jazz de Montréal, il explore ses racines haïtiennes aussi profondes que mystérieuses.

À Haïti autrement, l’émission dominicale d’Henry Saint-Fleur diffusée sur CIBL et sur diverses plateformes numériques, le gagnant d’un Juno en 2019 place l’album dans son contexte. Les affres du coronavirus le glissaient dans une déprime quand il s’est procuré une nouvelle guitare, un microphone et un billet d’avion pour s’envoler vers Haïti, la moitié-île qui l’a vu naître.

« Au début de la pandémie, mon esprit était brouillé […]. L’inspiration n’y était pas », a confié le chanteur multi-instrumentiste et réalisateur polyvalent. Ainsi, l’homme épuisé est retourné, le temps de la crise sanitaire, à son alma mater pour composer un délectable album à base de musiques traditionnelles. Tradisyon s’inscrit dans la lignée de son précédent Rapadou Kreyòl, album paru en 2018. Comme son nom l’indique, celui-ci a également puisé dans la riche culture de la première république noire indépendante du monde. « L’âme et l’authenticité [haïtiennes] sont plus profondes par rapport à Rapadou », précise Louissaint à l’émission de Saint-Fleur où de longs extraits de l’album ont été allégrement diffusés.

Ce sixième album en carrière du troubadour-né contient dix-neuf compositions dont certaines sont puisées du riche répertoire de genres musicaux haïtiens. Dans sa démarche ethnographique, Louissaint explore évidemment un éventail vaste et subtil de genres musicaux, dont le troubadour et la musique racine assimilée au vaudou. « L’idée […], c’est d’explorer en profondeur la culture et la tradition haïtienne : la culture vaudouesque, la culture yoruba, la culture troubadou, qui se font entendre sur une autre forme de fréquence que les musiques actuelles comme le kompa », explique-t-il au journal Le Devoir (2 juillet 2022). Il évoque des considérations ethnomusicologiques. Vénérer les racines de son pays natal est une constance dans la discographie de l’artiste affichant le sourire qu’on lui connaît. Il l’atteste d’ailleurs dans l’album Ayiti étoile nouvelle, également nom d’une école de musique qu’il a fondée en 2013, à Lalue, quartier de Port-au-Prince où Wesli a grandi. Dans la ville ravagée, à l’époque, par un mégaséisme, il a animé plusieurs ateliers de musique destinés aux jeunes. Le musicien y retourne annuellement pour pérenniser le modeste centre de formation musicale.

Critiques « Pour les initiés, l’album Tradisyon aura une valeur presque encyclopédique, avec sa ribambelle de rythmiques (banda, rara, petro, ganga, nago, congo, etc.) et ses références aux passeurs de la tradition musicale », apprécie Philippe Renaud, collaborateur au journal Le Devoir. Dans cet album, auquel les critiques attribuent une valeur encyclopédique, Louissaint honore les mémoires des sambas de Wawa (fondateur de Rasin Kanga) et de Azor (voix-symbole de Rasin Mapou), chantres de la musique rasin, et d’Éric Charles, qui excellait aussi bien dans le répertoire contemporain du Konpa dirèk que dans le registre troubadou.

Le jeune prodige de la musique du monde a appris à jouer divers instruments avant de s’enrichir d’autres styles musicaux comme l’afrobeat, le world reggae ainsi que le rara d’Haïti. Gagnant de plusieurs prix internationaux, il est décrit par Alain Brunet du journal La Presse, comme : « la plus redoutable créature world qu’offre actuellement Montréal au reste de la planète ».

Immigré à Montréal, en 2001, l’insulaire s’est évidemment donné les moyens pour avoir droit de cité. Avec le soutien de son groupe (band), depuis 2008, il chauffe régulièrement les scènes de divers grands festivals (Francofolies, la Franco-Fête de Toronto, le Babel Med Music de Marseille (France), le Festival international de jazz de Montréal, l’APAP de New York, le Festival Haïti en folie à Montréal, etc.).

Son immense talent l’amène à établir des collaborations très concluantes. Soulignons justement les duos improbables avec le réputé Tiken Jah Fakoly et d’autres comme Radio Radio, Paul Cargnello, Boogat, Mes Aïeux et Karma Atchykah.

Increvable et non moins prolifique, Wesli Louissaint devrait lancer cet automne le deuxième volet de Tradisyon, conçu comme un diptyque.

De quoi tenir davantage le rythme…