En cette Journée internationale des femmes, je donne la parole aux Canadiennes de seconde génération issues de l’Afrique subsaharienne qui ont accepté de partager avec moi une parcelle de leur vie dans le cadre de ma recherche doctorale terminée en 2021. Sans elles, la réalisation de ce travail n’aurait pas été possible et je ne serais pas devenue la femme que je suis aujourd’hui!

Par Bénédict Nguiagain

Une adhésion à la collectivité n’étant jamais définitive et totale…

Tandis que la ville de Montréal est perçue comme un lieu plus cosmopolite, la province du Québec est considérée comme un endroit homogène et francophone. La composition ethnoculturelle de la ville de Montréal et le degré d’ouverture de la population envers les personnes racisées fait en sorte que l’ensemble des répondantes se sentent plus à l’aise à Montréal que dans le reste du Québec. Elles se sentent donc davantage montréalaises et canadiennes, et se disent très rarement québécoises : « Je me sens extrêmement à l’aise à Montréal. Il y a des gens comme moi, je peux être moi. Si je sors de Montréal, je suis noire. Je suis une immigrante. C’est l’étiquette qu’on me colle au Québec. Je ne me sens pas canadienne, je suis canadienne. Pour ce qui est du Québec, je me sens mieux à Montréal. Je me sens donc montréalaise, pas québécoise », mentionne Louise, une jeune burundaise de 21 ans. Même ressenti pour Astrid et Nancy, deux jeunes femmes d’origine congolaises de 29 et 26 ans, qui expriment de l’inconfort vis-à-vis la province du Québec, mais un sentiment de chez soi dans la ville de Montréal : « Au Québec, je ne me sens pas à l’aise. À Montréal oui », témoigne Astrid. « C’est un peu comme une province du Canada pour moi. Il y a des reconstructions communautaires. Je me sens canadienne parce que je suis née ici. J’ai le passeport canadien. J’apprécie les avantages du passeport à l’international.

Québécoise, non. Probablement jamais. Montréalaise, oui je le suis. On voit la culture africaine, on existe ». De son côté, Nancy se sent d’abord canadienne, voire canadienne d’origine congolaise. Elle mentionne également un faible sentiment d’appartenance vis-à-vis de la province du Québec : « Je n’arrive pas à m’associer à leur Nous qui n’est pas du tout inclusif. J’habite à Montréal, mais je ne me sens pas québécoise ».

« D’où viens-tu » ? Des modes d’appartenances contextuelles, multiples et à trait d’union

Cette forte appartenance à l’espace géographique montréalais tient au fait que la ville se montre davantage « ouverte » sur le monde tout en présentant une plus grande diversité culturelle, ce qui n’est pas forcément le cas dans le reste de la province ». Kathya, afro descendante de 22 ans d’origine congolaise, témoigne de cette réalité : « Je me sens extrêmement à l’aise à Montréal. Il y a de la diversité culturelle. Si je sors de Montréal, je suis noire. Je me sens évidemment canadienne parce que j’ai la nationalité. Pour ce qui est du Québec, je me sens mieux à Montréal. Je me sens donc montréalaise, pas québécoise. Pour le Québec je suis une éternelle immigrante, pas une Québécoise ».

Quant à Anne, une jeune femme d’origine camerounaise de 27 ans, elle exprime ses modes d’appartenance en fonction de l’espace géographique et de la personne interlocutrice : « Le Québec ce n’est pas un endroit pour moi. Quand je parle avec des gens du Québec, je me sens montréalaise. Quand je suis hors du Canada, je me sens canadienne. Quand je suis au Canada, je me sens montréalaise ».

Myriam, jeune congolaise de 27 ans, ne cache pas son fort sentiment d’appartenance pour la ville de Montréal et le pays que représente le Canada, mais aussi un sentiment de distance par rapport au Québec : « La ville de Montréal, c’est moi », dit-elle avant d’ajouter « J’aime beaucoup Montréal. Québec moins. Je me sens définitivement plus canadienne. Probablement parce que je n’aime pas le Québec. Je parle français, mais je suis canadienne. Comme je ne suis pas représentée, je ne suis pas québécoise. Je reconnais ce pays qu’est le Canada, pas le Québec. Le Canada c’est le pays dans lequel je vis, c’est la citoyenneté que j’ai, c’est le passeport que j’ai, donc je suis canadienne. Québécoise je dirais que je le suis d’une certaine manière. Montréalaise, je le suis définitivement ».

Enfin, Carol, une canadienne d’origine camerounaise insiste sur le fait que « Jamais, jamais, jamais je ne me sens québécoise. En aucun cas ». Elle dit se sentir montréalaise « en tout temps », et ce, même si elle demeure à Brossard. La jeune afro descendante de 20 ans évoque un sentiment de sécurité lorsqu’elle parle de Montréal, une ville diversifiée sur le plan culturel : « C’est tellement de diversité. Je me sens en sécurité à Montréal. Je suis juste une personne et non pas une Noire ». Elle termine en exprimant un faible sentiment d’appartenance vis-à-vis de la province francophone « Quand on me dit que je suis québécoise, je me sens insultée. Mais en même temps ça pourrait simplement désigner quelqu’un qui est né au Québec ».

En résumé, Montréal est systématiquement comparé au reste du Québec sur le plan de la diversité ethnoculturelle. Revendiquant davantage une appartenance à la société canadienne et à la ville de Montréal, ces jeunes femmes expriment un faible sentiment d’appartenance à la nation québécoise. Ces dernières se sentent majoritairement plus montréalaises que québécoises. Elles se sentent toutes Canadiennes. Un sentiment de fierté est d’ailleurs associé à la citoyenneté canadienne. Quand elles se retrouvent hors du Canada, elles ne disent pas qu’elles sont québécoises, mais plutôt Canadiennes et/ou Montréalaises.

À venir : un Québec plus inclusif ?

Enfin, l’une d’entre elles, Alberte d’origine burundaise, souligne que la société québécoise sera éventuellement confrontée à une réalité déjà annoncée par Statistique Canada, soit un renversement démographique graduel entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires dans les grandes villes métropolitaines du Canada. Elle précise : « De plus en plus, le multiculturalisme s’installe. Nos enfants vont grandir ici et il y aura de plus en plus de minorités visibles au Québec. Je pense que ça fait peur aux Québécois. Ils doivent se préparer ». En effet, selon les projections de Statistique Canada, près du tiers de la population canadienne appartiendrait à un groupe de « minorités visibles » en 2031. Avec près des deux tiers des citoyens et des citoyennes qui appartiendront à cette catégorie, les minorités visibles vont devenir la majorité dans deux villes canadiennes, soit Toronto (63 %) et Vancouver (59 %). À Montréal, la proportion sera environ du tiers (31 %).

Biographie de Bénédict Nguiagain-Launière

Sociologue-historienne de formation, Bénédict Nguiagain-Launière est titulaire d’une maîtrise en histoire appliquée et d’un doctorat en sociologie de l’UQÀM.

Ses intérêts de recherche portent sur les problématiques liées à l’immigration, à la discrimination raciale, au racisme systémique et à l’inclusion sociale et économique des personnes racisées, plus particulièrement celles issues des communautés noires au Canada.

Chercheuse à l’Institut de recherche sur l’immigration et sur les pratiques interculturelles et inclusives (IRIPII), ses domaines d’expertise sont : la sociologie de l’immigration, l’histoire des communautés noires et l’approche ÉDI (Équité, Diversité et Inclusion).