Titulaire d’un doctorat en littérature et arts de la scène de l’Université Laval, Rodrigue Homero Saturnin Barbe est le rédacteur invité de la septième édition de COM1. Pour l’occasion, le comédien-conteur et metteur en scène originaire de la République centrafricaine évoque les enjeux de représentation des personnes racisées dans le théâtre au Québec. Ici, selon lui, la pratique de cet art reste à désirer.
Par Rodrigue Homero Saturnin Barbe
Difficile de l’exprimer avec des mots. Mais c’est une réalité de voir les artistes africains, des talents que l’on adulait en Afrique devenir rien du tout dans leur domaine de compétence, au Québec. Le cas du théâtre laisse à désirer.
Le comptable, l’informaticien venant d’Afrique ne manque pas son espace pour valoriser son potentiel. Cependant au théâtre, le comédien, le metteur en scène et l’humoriste doivent retourner à l’école pour se faire une place sur les scènes théâtrales du Québec. Après dix ans de pratique théâtrale en Afrique, je suis arrivé au Québec-Canada en août 2009 dans le cadre d’une bourse de la Francophonie pour faire une thèse de doctorat en littérature, Arts de la scène et de l’écran (option théâtre d’intervention) à l’Université Laval. Aujourd’hui, douze ans passés au Québec, je n’ai pas fait le quart de mon expérience théâtrale africaine. La moitié de mes interventions scéniques au Québec, je les dois à mon passage à l’Université Laval. Hors de cet environnement, je me battais (c’est le cas encore) pour donner des spectacles de conte.
Après ma thèse soutenue en mai 2014, je ne pouvais pas retourner en Centrafrique à cause de la guerre qui n’en finit pas. Mes liens à l’Université Laval m’ont permis de continuer à faire mes pratiques dans les studios de théâtre du pavillon Casault. Avec mon statut de diplômé, j’avais quelques accès aux locaux du Casault pour préparer et produire quelques spectacles de théâtre. Ces spectacles sont généralement tirés des contes, donc des adaptations et je joue seul sur la scène.
Entre juin 2014 et mars 2017, j’ai tenté beaucoup de sollicitations pour me trouver une place dans le milieu du théâtre à Québec. On m’a conseillé de m’adresser à certains organismes qui soutiennent les artistes à Québec. La plupart des intervenants me parlent d’entrer dans une école de théâtre. Ce qui m’a amené à tenter, en automne 2017, le concours d’entrée au conservatoire d’art dramatique de Québec pour une formation de metteur en scène (après avoir réalisé au moins quinze mises en scène en Afrique (professionnellement) et au Québec dans le cadre de mes recherches universitaires). Ma tentative n’a pas fonctionné. Le conservatoire d’art dramatique de Québec m’informe que la formation en mise en scène recrute une seule personne (un candidat) à chaque recrutement. Il y a eu beaucoup de candidats et les candidatures étaient très compétitives. Je n’ai donc pas été retenu. Je me souviens avoir parlé de la réponse que le conservatoire d’art dramatique de Québec m’avait adressée. Il m’a fait comprendre que c’était une erreur d’aller dans cette compétition sans être appuyé par une référence. L’enseignant m’avait même conseillé de l’avertir la prochaine fois, si je souhaite poser une autre candidature au conservatoire de Québec. Il pourrait donner son nom et m’adresser une lettre de recommandation. Je n’ai plus finalement tenté une autre demande d’entrer au conservatoire d’art dramatique de Québec.
À l’issue d’une rencontre avec une conseillère en emploi au SOIIT de Québec, je suis entré en contact avec le député Maka Kotto qui m’a reçu dans son bureau au parlement de Québec. Il me demande de préparer un portfolio vidéo de mes spectacles, un dossier de presse sur mes réalisations et de les transmettre à son assistant politique. Je n’ai pas pu fournir ses documents. Les raisons sont multiples. Pour faire un montage de portfolio vidéo, cela prend des images disponibles. Je viens d’un environnement où le CV fait foi.
Le conseiller politique du député Maka Kotto, en m’accompagnant vers la sortie, me dit dans les couloirs de l’Assemblée nationale : « Et pourquoi n’allez-vous pas tenter votre chance à Montréal? Québec est un petit village encore fermé… » À moi de lui répondre : « Je ne veux pas vivre à Montréal, moi. La ville de Québec me va bien. J’ai juste besoin de faire ce que j’aime ici… »
Au-delà de ses tentatives, je m’étais mis à chercher du côté du conte. Je suis aussi très bon dans ce domaine. La plupart des comédiens africains savent utiliser le conte pour accéder au théâtre. Mais moi, j’avais le talent inné au théâtre et l’art de dire un conte m’a été transmis par ma mère, qui elle, avait reçu ce don de son oncle maternel. Comme les accès au milieu du théâtre à Québec se montrent complexes, j’ai multiplié des offres de services comme intervenant en littérature orale (pour les contes) dans les écoles publiques, notamment auprès des commissions scolaires de la Capitale et des Découvreurs. Mais rien n’a mordu. Je me suis dirigé vers les bibliothèques avec une proposition de prix à la baisse pour au moins me faire connaître dans le milieu de diffusion des spectacles de conte. J’ai été accepté pour la première fois par la bibliothèque Monique Corriveau. De fil en aiguille, la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec m’a mis dans ses programmations pour jeune public. L’aventure va s’éteindre avec la fermeture de cette bibliothèque pour des raisons de travaux.
Entre-temps, il faut vivre, payer les factures. Déjà, il est compliqué de trouver un lieu pour pratiquer, travailler sur un spectacle. Lorsque je prépare un spectacle, je me sentais (même aujourd’hui encore) obliger d’utiliser les locaux de l’Université Laval pour m’entraîner et mettre en scène mes spectacles. Je considère cela comme si je préparais mes spectacles dans une précarité à l’africaine. Il me manque de tout, mais on dirait que le public de Québec n’est pas encore habitué à voir un Noir, un Africain de « couleur » sur les scènes de théâtre et du conte. C’est dur à le dire, mais le Québec tue les talents noirs dans le domaine du théâtre et du conte. On vous appelle sur une scène, c’est parce qu’on a besoin d’un artiste de la diversité. La peau noire est présente sur la scène à Québec pour répondre à un besoin qui veut tout simplement montrer que le pays est ouvert aux artistes noirs.
Quand on arrive au Québec avec son talent de comédien, conteur et metteur en scène, il faut s’attendre à abandonner, à tuer ses rêves. Les conditions pour obtenir une subvention sont rudes pour un Africain qu’il apparaît presque impossible de savoir si je bénéficierai un jour d’un fonds gouvernemental pour créer un spectacle de théâtre en bonne et due forme.
Après avoir passé douze ans à Québec, je prends conscience que cette période a tué une partie de mes talents. Le talent existe, mais le travail, l’exercice de cette aptitude lui donne des ailes. Au théâtre, moins tu es en face du public, il sera difficile pour toi d’avoir la possibilité de valoriser ton talent. Mon talent est encore présent dans l’écharde de ma chair, mais il ne survivra pas si la scène demeure fermée à l’art de l’Afrique noire. J’ai besoin d’être reçu par le public québécois avec mes talents humains, pas ma couleur de peau.
La pandémie m’aurait détourné de la scène du conte et du théâtre, mais je résiste en gardant une étoile qui réside au fond de moi. Car, laisser le théâtre et le conte serait un sacrilège, un gâchis inacceptable pour moi-même et ceux qui m’ont formé, ceux qui ont reçu mes formations.
Cela dit, je terminerais ce témoignage sur une note d’espoir. J’ai fait des rencontres extraordinaires depuis ces sept derniers mois. Je collabore actuellement avec l’organisme communautaire Fusion Jeunesse. Après une formation, l’organisme me permet d’intervenir dans des écoles à Québec et à la Rive-Sud en tant que coordonnateur en jeu théâtral dans les écoles primaires (4e et 5e années).
À Montréal, la Compagnie Théâtre créole m’a fait honneur de m’inviter à son festival et j’ai l’occasion d’assister à un colloque sur la question des artistes noirs au Québec.
Il y a de l’espoir à Québec aussi.