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14 Nov
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Jenny Ulloa, à la santé du Québec  

Par Jean Max St Fleur

À la direction des soins infirmiers de l’hôpital de Verdun, Jenny Ulloa gère d’une main soignante l’unité des soins intensifs. L’originaire du Nicaragua a su profiter des opportunités que le Québec offre aux personnes issues de l’immigration qui ont l’ambition et la volonté de réussir à leur terre d’accueil. Récit d’un succès.   

Dans les années 1980, des milliers de gens ont été pris au piège de la révolution manquée des sandinistes au Nicaragua. Parmi eux, Jenny Ulloa et sa famille. Refusant la fatalité, ceux-ci conviendraient de forcer le destin, en fuyant leur pays déchiré par la violence, les tortures, les disparitions forcées et les exécutions massives.

La situation était d’autant plus compliquée pour les hommes âgés de vingt à soixante ans à l’époque. Ils étaient enrôlés de force et massivement par les sandinistes qui mettaient fin à la tyrannie d’Anastasio Somoza Debayle. Le Front sandiniste de libération nationale voulait ainsi châtier ceux qui ont été perçus comme des opposants à la révolution naissante.

Alors que Jenny n’a eu que cinq ans, son père fuyait le pays en laissant derrière lui sa petite famille. Elle garde encore aujourd’hui le souvenir de ce moment douloureux. « À l’époque, l’armée cherchait à enrôler de force des hommes en vue de prêter main-forte aux militaires pour affronter les forces rebelles. Puisque ces recrues inexpérimentées n’en revenaient souvent pas, ma mère avait alors demandé à mon père de fuir pour sauver sa vie », se rappelle celle qui est devenue un visage incontournable à la direction des soins infirmiers de l’Hôpital de Verdun.

Avec une pointe d’humour, elle évoque ce jour où l’on est venu chercher son père pour aller au front. « J’étais toute petite… Un jour, des militaires sont venus cogner à la porte. Ma mère a tout de suite demandé à mon père d’aller se cacher de peur qu’il ne soit repéré. Quand ils ont demandé à ma mère, où était Oscar ? Elle leur a répondu qu’il avait déjà quitté le pays. Et moi j’étais là, en toute innocence, regardant ma mère effrayée, le monsieur devant la porte et les pieds de mon père dans sa cachette. Je disais dans ma tête, mais non ! C’est faux. Mon père est là. Il n’est pas parti. »

De Guatemala au Québec

Le destin catapulte d’abord Jenny et sa famille au Guatemala, qui accueillait à l’époque des centaines de réfugiés. Là-bas, elle rejoignait son père qui les avait devancés. La traversée n’a pas été facile pour sa famille. Entassée avec d’autres clandestins dans une camionnette, pressurée par un passeur sans scrupule. « Le passeur nous a réclamé beaucoup plus d’argent que le montant qui a été négocié sous peine de nous laisser en plein milieu de la forêt », remémore-t-elle, la voix pleine d’émotion.

Après presque un an au Guatemala, ses parents avaient le choix entre l’Australie et le Canada pour une demande d’asile. Ils finiront par tourner les yeux vers cette terre d’accueil de l’Amérique du Nord. 

Ils débarquaient à Sherbrooke, au Québec, en novembre 1989 avec la langue espagnole comme seul et unique moyen de communication. « On a passé une semaine à l’hôtel et le traducteur de l’immigration qui devait nous accompagner ne s’est jamais pointé. Au restaurant où l’on pouvait manger, la seule chose qu’on comprenait dans le menu c’était le mot spaghetti, le même qu’en espagnol. On a dû manger des spaghettis au déjeuner, au dîner et au souper », lance-t-elle dans un éclat de rire.

Aujourd’hui, la langue de Molière n’est plus une barrière pour Jenny Ulloa. Elle parle un français soutenu, limpide et sans accent.

Repousser les limites

Dans les années 1990, la ville de Sherbrooke située au cœur des Cantons de l’Est n’avait pas une aussi bonne réputation en matière d’immigration qu’aujourd’hui. La famille a connu des désillusions, assaisonnées de racisme à l’occasion. À l’école tout comme à l’église. « On était victime de beaucoup d’actes discriminatoires basés sur notre origine probablement. La façon dont on nous parlait, dont on nous traitait même dans cette église qu’on fréquentait laissait à désirer », raconte l’infirmière aguerrie. 

Loin de se laisser intimider, elle a repoussé ses limites. « Je me suis appuyée sur les valeurs que mes parents m’avaient inculquées pour passer au travers de tout ça. J’ai eu aussi de belles amitiés au secondaire qui m’ont été très précieuses et que je garde encore. Par-dessus tout, ce qui m’a aidé à cette époque, c’était ma résilience, même à un jeune âge », témoigne la jeune femme. 

Elle estime être chanceuse d’avoir été accueillie au Québec, une terre d’opportunités tant pour elle que pour sa famille. D’ailleurs, après les études interrompues au Nicaragua, sa mère a pu reprendre le chemin de l’école et a décroché son diplôme en sciences infirmières au Cégep de Sherbrooke. Elle a même prêté ses services à l’hôpital de Verdun pendant plusieurs années. « Ma mère a décroché ce poste d’infirmière à l’Hôpital de Verdun. Nous avons alors déménagé à Montréal pour une nouvelle aventure », explique-t-elle. 

Comme les petits poissons suivent les grands courants, Mme Ulloa a suivi les traces de sa mère pour devenir elle aussi infirmière. Même si initialement, ce n’est pas ce qu’elle souhaitait. « Comme de nombreuses adolescentes, j’étais un peu rebelle. Je ne voulais rien savoir des soins infirmiers. Mais ma mère ne cessait de me répéter : tu vas devenir une infirmière », rigole celle qui est depuis trois ans cheffe de l’unité des soins intensifs à l’Hôpital de Verdun. « Je pense que c’était la volonté de Dieu que je sois là aujourd’hui », concède-t-elle.

De la petite fille traversant la frontière du Guatemala avec ses parents à cette femme qui a triomphé courageusement des multiples difficultés linguistiques et socioculturelles qu’implique toute immigration, Jenny Ulloa s’est taillé une place bien méritée dans son nouveau pays.

 Mariée et mère de deux enfants, elle se veut une valeur ajoutée dans le réseau de la santé et fait désormais partie intégrante de ce patrimoine collectif qu’est le Québec.

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06 Nov
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Vingt ans de Mémoire dans l’Encrier

Il y a vingt ans, le poète, écrivain, essayiste, académicien et éditeur Rodney Saint-Éloi a créé et propulsé la Mémoire d’encrier. Une maison d’édition pour donner voix aux silencié.es et des histoires à contre-courant. Des voix décoloniales qui permettent de faire remonter nos humanités. Rédacteur invité de la troisième édition de COM1, Saint-Éloi revient sur les vingt ans de l’édition engagée et diversifiée. Bienvenue à la « maison qui porte la mémoire des humbles et des humiliés ».

Par Rodney Saint-Éloi

Je suis éditeur et poète d’origine haïtienne. J’ai étudié en linguistique, en économie et en littérature en Haïti aussi bien qu’au Québec. En 2001, j’ai décidé de m’établir à Montréal. J’aime dire quand on me demande « D’où viens-tu? »  que je viens du pays de Jacques Roumain et de Marie Chauvet. Avant l’exil, j’avais une vie. J’avais commencé à Port-au-Prince en enseignant, faisant mes premières armes comme journaliste, puis m’orientant vers une carrière d’écrivain et d’éditeur.

Quand on me pose des questions sur mon pays natal (ce qui est le lot de tous les exilés), sa misère et ses malheurs, je réponds en évoquant l’art, la littérature, les grandeurs et richesses de la culture du pays. J’aime citer ces écrivains qui ont construit dans leur livre une histoire digne et belle. Grâce à ces écrivains, et à leurs livres, je parviens à définir mon territoire, mes légendes. Je parviens à cheminer et à témoigner de ma présence au monde. En citant les noms de peintres et d’écrivains, je veux simplement dire que j’ai de l’encre dans mon sang. J’écris, lis et édite comme je vis.

Cela fait longtemps aussi que le pays d’Ayiti, malgré la banqueroute qui le ronge, demeure un pays de forte tradition littéraire. J’appartiens à une communauté qui célèbre les 100 ans de l’écrivain Jacques Stephen Alexis. J’appartiens à une communauté qui a fait de la littérature une arme massive de citoyenneté.

Écrire, lire, éditer constituent pour moi le même et unique verbe d’action qui permet d’affirmer ma présence au monde. Comment exister sans participer à la conversation que mène le monde? Car le monde n’est rien d’autre qu’une conversation. J’existe alors ainsi. Je me rends compte que je me réveille tous les matins avec ces verbes-là : écrire, lire, éditer. Ce sont mes obsessions. C’est ma manière de définir ma présence au monde.

J’ai été toujours marqué par le défi de penser. Penser comme l’a fait le grand ethnologue Jean Price-Mars, qui nous invite à sortir du cercle de l’aliénation et de l’indignité pour pouvoir ouvrir l’horizon du futur.

Comment vous parler de Mémoire d’encrier?

 La vérité est que je ne saurais vivre sans être au service d’une cause. Cette cause est celle d’une intelligence, d’un sens de la relation et de la beauté que seule la littérature ose offrir.

Mémoire d’encrier est ainsi appelée à affirmer/réaffirmer/défendre des voix, visions et imaginaires. Nous défendons ces présences que l’on tend souvent à exclure. Il y a toujours quelque chose à défendre, disait le poète Davertige.

Cela fait bien vingt ans que Mémoire d’encrier existe. Cette maison porte la mémoire des humbles et des humiliés. La maison s’appelait Mémoire, en Haïti, et est devenue Mémoire d’encrier, au Québec, en 2003. Le pari est toujours le même. Allumer le feu de l’intelligence. Convoquer les mots et les consciences pour répondre à tous les rendez-vous de l’histoire.

Cela fait vingt ans que Mémoire d’encrier bat le tambour. Lisons pour exister. Lisons pour mieux comprendre et définir notre présence au monde.

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03 Nov
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BellA Forté : une voix unique, trilingue et puissante

Par Vanessa Dalzon

« Noël à Montréal, cœur en Haïti »! C’est sous ce thème et par le biais de la musique que BellA Forté rythmera la fin de l’année 2023 à Montréal. Entre deux mélodies, elle s’est confiée à notre rédaction.  

Peu d’artistes ont un souvenir aussi précis de son émergence dans la musique. BellA Forté, pourtant, se le rappelle comme si c’était hier. De cette révélation à ses contrats internationaux, la chanteuse a parcouru un long chemin.

Tout a commencé par I will always love you de Whitney Houston. Telle une déclaration un peu précoce à la musique qu’elle a embrassée assez jeune! C’est la première chanson que BellA Forté a fredonnée à l’âge de cinq ans. D’une voix évidemment innocente. C’était au cours d’une cérémonie des Grammy Awards qu’elle regardait à la télévision avec sa mère que BellA a écouté la chanson pour la première fois. Et dès cet instant, elle ne la quitte plus.

« Vous vous imaginez une enfant de cinq ans avec un accent anglais un peu boiteux, de surcroît traînant cette chanson pendant des semaines? », s’interroge la chanteuse professionnelle dans un éclat de rire.

Cette flamme découverte assez tôt s’est embrasée au lieu de s’éteindre jusqu’à ce que sa mère comprenne qu’il s’agissait d’une vraie passion. Commence alors les cours de chant à l’âge de douze ans. Puis une carrière professionnelle à vingt ans.

Polyvalente, Forté chante du jazz, de la pop et de la soul. Cette capacité de s’approprier différents styles lui a permis de faire le tour du monde. Elle décroche des contrats internationaux qui l’emmènent notamment à Bangkok, Hong Kong et Singapour.

À Montréal, celle qui chante en français, en créole et en anglais performe au Balcon Cabaret, à la Maison du Jazz et au Upstairs Bar Jazz et Grill à guichet fermé.

Entre deux prestations, elle a sorti son premier EP, Hear Me Out avec quatre chansons originales. Aujourd’hui, son rêve est de proposer un projet en créole, sa langue maternelle. « C’est quelque chose d’assez nécessaire pour moi », insiste la vedette. Un gage de reconnaissance à l’égard de la culture haïtienne.  

Après plus de quinze ans de carrière, l’interprète de Hear Me Out s’estime heureuse d’avoir eu un bel accueil du public québécois. Jusqu’ici, elle ne se plaint pas.

 Toutefois, elle reconnaît que ce n’est pas un chemin facile. « Trouver un entourage pour aider à se propulser quand on est femme et noire dans l’industrie de la musique n’est pas donné, il faut se battre », explique-t-elle.

La persévérance et la ténacité sont des éléments qui l’ont aidée à tenir ferme. Aujourd’hui, BellA Forté poursuit sa route. Elle animera, le 16 décembre 2023, à la Salle Edessa à Laval, le gala Noël à Montréal, cœur en Haïti. Une initiative d’Expev et de Louibert Meyer.

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15 Nov
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La Francophonie comme « idéal incarné ou réincarné »

Par Victor Junior Jean

À l’initiative de la Chaire Senghor de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), la Francophonie y est au centre d’une journée scientifique, le 28 septembre 2023.

Les discussions concernent entre autres les questions d’immigration, de relations internationales, de développement, d’autochtonie et des médias. L’objectif est clair : « réunir des acteurs (universitaires, culturels, économiques, littéraires, etc.) pour qui la Francophonie est non seulement un objet ou un sujet d’étude, un domaine de prédilection et d’expression artistiques, mais aussi un idéal incarné ou réincarné dans un monde “privé de sens” ».

Selon la direction des communications et de recrutement de l’UQO, cette activité marque « le début des activités célébrant les 12 ans de la chaire Senghor de la Francophonie de l’Outaouais ». Celle-ci, la première en Amérique du Nord, a été inaugurée par l’ancien Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf. Cette Chaire est dirigée par Ndiaga Loum, juriste, politologue et professeur titulaire au Département des sciences sociales à l’UQO.

Parmi les invités à ce colloque international sont mentionnés le nom de Clément Duhaime, ancien administrateur de l’OIF et ancien délégué général du Québec à Paris;  François Gérin-Lajoie, président de la Fondation Paul Gérin-Lajoie; la Sénégalaise Aida Mbodj, ancienne ministre, initiatrice de deux importantes lois (l’une sur la parité absolue entre hommes et femmes, et l’autre sur la criminalisation du viol); Jean-Marie Bézard, philosophe français et président du réseau international d’innovation; Yao Assogba, professeur émérite à l’UQO; Jonathan Paquette et Sanni Yaya de l’Université d’Ottawa, ainsi que Brian Murq de Seattle University et Destiny Tchehouali de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

 Senghor, le français et les langues africaines

Que veut dire la Francophonie? C’est une structure institutionnalisée qui, sur cinq continents, regroupe trois cents vingt et un millions de personnes ayant la langue française en commun, selon l’estimation de l’Observatoire de la langue française en 2018. À quoi sert-elle? Elle constitue, d’un point de vue de l’Organisation internationale de la Francophonie, « un dispositif institutionnel voué à promouvoir le français et à mettre en œuvre une coopération politique, éducative, économique et culturelle au sein des 88 États et gouvernements ». En d’autres termes, l’OIF se donne pour missions de « promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, la paix, la démocratie et les droits de l’Homme; d’appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche; et de développer la coopération économique au service du développement durable ».

À la base, Léopold Sédar Senghor, père de la Francophonie, s’intéressait au « rassemblement des peuples francophones ». Plus précisément, cet admirateur du français, qui a joué un rôle prépondérant dans la valorisation de cette langue, était favorable au dialogue de toutes les cultures. Le Sénégalais croyait qu’il était nécessaire d’apprendre le français afin de dialoguer avec toutes les cultures francophones tout en défendant les cultures africaines.

Dans cette perspective d’universalisme et d’humanisme, il ne voyait pas la langue comme un instrument de domination, mais plutôt un vecteur de changement des rapports entre les francophones du Nord et ceux du Sud. Il était surtout question d’harmonisation et de respect mutuel. Selon sa formule, « défendre une langue, c’est respecter les autres langues ».

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15 Nov
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Vérité et réconciliation : débat à l’UQO

La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation a lieu chaque année le 30 septembre au Canada.  Le temps de rendre hommage aux personnes survivantes des Premières Nations et des Métis et aux enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux, ainsi qu’à leurs familles et à leurs communautés.

Cette journée importante connue aussi sous le nom de Journée du chandail orange a été soulignée, du 25 au 30 septembre 2023, par l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Cet événement a permis de célébrer la diversité et la richesse du patrimoine et des cultures autochtones par le comité organisateur de l’événement à l’UQO.

« L’appréciation culturelle : afin de mieux apprécier sans s’approprier » est l’un des thèmes débattus au cours de la semaine d’activités. La conférence prononcée par Catherine Boivin « amène les nuances de l’appropriation culturelle et de l’appréciation tout en discutant des définitions, des impacts et des exemples de ce phénomène, indique l’université sur son site Internet. Elle a pour but de nous outiller afin que nous puissions détecter les nuances et ainsi mieux apprécier sans s’approprier. »

La thématique « guérison des communautés autochtones » a aussi été abordée par Manishan Kapesh, Innue de la communauté des Uashat Mak Mani-Utenam. Fondatrice de la maison de guérison traditionnelle Kutikunui, elle estime que « la réconciliation se fera quand les survivants auront tous guéri de leur colère ». C’est dans cette perspective justement qu’elle milite et raconte l’histoire des Autochtones. Pour celle qui travaille avec les onze nations de la province du Québec, la guérison « commence dans l’enseignement des traditions et des rituels qui leur ont été enlevés par le système de pensionnats ».

Le rôle des universités dans la réconciliation a aussi été abordé dans le cadre de la série d’activités conçue par l’UQO dans le cadre de la Semaine de vérité et de la réconciliation.

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15 Nov
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Timothy Findley : « la guerre qui mettra fin à toutes les guerres »

Par Pierre-Raymond Dumas                   

Né à Toronto, le 30 octobre 1930, Timothy Findley, d’abord acteur, obtient son premier grand succès avec son troisième roman Guerres (1977). Celui-ci connaît en 1983 une adaptation au cinéma réalisée par Robin Phillipps avec Richard Austin et pour lequel il reçoit le prix littéraire du Gouverneur général. Évidemment, ce roman à la construction très élaborée autour de la vie palpitante du lieutenant canadien, Robert Ross durant la Première Guerre mondiale fait écho à la guerre en Ukraine envahie par l’armée russe depuis le 24 février 2022. Pour décrire cette vie de guerrier que l’armée envoya rejoindre la 30e batterie d’artillerie de campagne à l’entraînement à Lethbridge, Alberta, le 2 avril 1915, Timothy Findley qui est mort le 21 juin 2002, par besoin et par allégresse, fouille avec patience et application dans chaque élément de chaque archive, tente de recoller les morceaux, et finit par composer un portrait aussi soigné que possible de cette époque et de ces pays européens en convulsion.

The Wars (Guerres), traduit de l’anglais par Eric Diacon qui s’ouvre sur une citation de Von Clausewitz, le grand théoricien des stratégies guerrières, est encore d’actualité pas seulement à cause de sa charge émotionnelle et spectaculaire. Sa construction n’est qu’une façon de nous attraper par le col pour ne plus nous lâcher : l’espoir se fait rare, le ton est désabusé, et pourtant se dégage de ce flot de thématiques complexes (la mort, la violence, l’amour, la démesure et l’absurdité de la guerre, l’enfance malheureuse, l’oubli) une énergie nimbée de lucidité. Car lire « Guerres », c’est ne pas savoir de quoi demain sera fait, pas plus que les prochaines années ou semaines. À l’image d’un scénario très rythmé, le style est sobre et brillant, et il séduit sans lassitude.

Pour le romancier-enquêteur, digne représentant de la littérature canadienne anglophone, c’est bien un programme : chaque indice est un message, une précieuse information, et les recherches sur le personnage principal – il y a un tas d’autres personnages – concernent aussi bien son enfance à Toronto que les tranchées boueuses et jonchées de cadavres d’Ypres, dans les Flandres (France), sans oublier l’Angleterre avec son charme ineffable. Violé par des frères d’armes, puis sauvé miraculeusement lors d’un bombardement ennemi à Saint-Éloi, en Belgique, devenu déserteur après avoir « tiré une balle en plein front » du capitaine Leather à la suite d’un autre bombardement encore plus désastreux, Robert Ross, brûlé à mort et mis en état d’arrestation, mourut dans d’atroces souffrances en 1922. Quelques exemples des passages les plus poignants de cette fin de vie pleine de larmes : « À travers les barreaux [ on avait mis des barrières autour de son lit pour l’empêcher de tomber, car pendant son sommeil, il essayait parfois de se lever], je lui ai dit : « Si vous voulez, je peux vous aider. » À sa réponse, j’ai su qu’il avait compris. Il a simplement dit : « Pas encore ». Il aurait pu dire : « Non. » Il aurait pu dire : « Jamais ». Il aurait pu dire : « Oui. » Mais il a simplement dit « Pas encore. » Et ces deux mots, je crois, contiennent l’essence même de Robert Ross. Ou l’essence de ce que signifie « être vivant » (p. 291). Ou encore : « Il existe une photo de Robert et de Juliet prise peu de temps avant sa mort. Il porte un bonnet – une sorte de toque – tiré sur les oreilles. Il n’a pas de sourcils; son nez est déformé; et son visage n’est qu’une masse de tissu cicatriciel. Juliet lève les yeux vers lui, tandis que lui-même regarde l’objectif. Il tient la main de Juliet. Et il sourit » (p. 292-293).

Au moment où la Troisième Guerre mondiale pointe probablement à l’horizon, au milieu de ces polycrises continentales et régionales récurrentes, le roman de Thimothy Findley, plein de va-t’en guerre – tels des moutons de Panurge –, débordant de cruauté et de folie collective, nous pousse à reconsidérer nos vieux démons et nos instincts bestiaux. Qui, à leur manière, disent forcément assez bien qui nous sommes : mortels et suicidaires.

 Thimothy Findley. Guerres, Bibliothèque québécoise, 2000.

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15 Nov
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Fête nationale et diversité à Montréal-Nord

Loin d’être rebutés par le crachin de la journée du 24 juin, des dizaines de Montréalais ont afflué au parc Charleroi pour participer à la célébration de la Fête nationale du Québec concoctée par Com C’est Nous. Le temps pour des personnes issues de la diversité culturelle de souligner leur appartenance au Québec.  

Par Alain Babineau* 

Jacky Chéry, animateur de l’atelier « Dessine-moi le Québec », était persuadé de la créativité débridée et sans bornes des jeunes de douze ans et moins qui répondaient à l’invitation de l’organisme sans but lucratif.

L’atelier s’inscrit dans une perspective de médiation culturelle visant à inciter le sentiment d’appartenance des enfants issues des communautés culturelles au Québec. « L’objectif de cet atelier s’inscrit dans le cadre de l’agenda social de l’organisme qui défend et promeut les intérêts, ainsi que les droits des membres des communautés racisées, au moyen du dialogue et de la communication », indique Jean Max St-Fleur, directeur de communications de Com C’est Nous. 

Les fleurdelisés flottaient au vent dans le parc Charleroi quand Philippe Thermidor, conseiller de l’arrondissement de Montréal-Nord, a évoqué la diversité qui caractérise la nation québécoise. Cette diversité, affirme-t-il, « amène une immense contribution au Québec d’aujourd’hui ».

Dans la tradition des spectacles relatifs à la Saint-Jean, la musique québécoise riche et diversifiée était omniprésente. Ainsi, l’artiste Issalem a, entre autres, revisité « Le temps est bon », un classique des années 1970, pour le bonheur du public qui redoutait la petite pluie fine et pénétrante.

L’événement ponctué d’une chorégraphie de Jam Elle Créations et de l’exposition des sept premières éditions du magazine COM1. Ce trimestriel vise à mettre les réalisations de leurs membres en valeur, dans une perspective de diversité et d’inclusion, a été l’occasion pour des migrants dispersés partout dans la province de se retrouver.

*Article d’Alain Babineau publié le 27 juin 2023 sur le site Internet de Intexo, Jounal Nou

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09 Nov
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Le milieu médical malade de son racisme

Par Jean-Bart Souka

L’esclavage est dissout en Haïti depuis plus de deux siècles. L’abolition de ce système aux États-Unis date de 1865. Pourtant, des afrodescendants et des afrosdescendantes subissent encore les séquelles tant physiques que psychologiques de ce crime contre l’Humanité. « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations? ». Ce thème fait l’objet de tout un essai signé par Aimé Charles-Nicolas, instigateur de l’un des premiers colloques francophones sur la transmission intergénérationnelle des traumatismes psychologiques, en 2016, en Martinique.

Aujourd’hui, les legs de l’histoire coloniale et esclavagiste axée sur l’appât du gain perpétuent en Amérique du Nord. Les traces de ce triste temps sont si profondes qu’elles affectent même les milieux médicaux. Par exemple, le réseau de la santé du Québec, non immunisé de ce virus contagieux, peine à traiter ses maux et sert d’appât à certains téméraires. 

Les nombreux germes de cette injustice préoccupent particulièrement la communauté autochtone qui ne veut pas baisser les bras. Interpellé, le Collège des médecins du Québec (CMQ) concède même l’existence du racisme systémique dans le réseau de la santé de la province. 

« Ensemble, reconnaissons ce qui doit l’être, dénonçons le racisme systémique, et posons des gestes qui appuieront cette posture et permettront de le combattre », recommandent le président du CMQ, Mauril Gaudreault, et le grand chef de la nation atikamekw, Constant Awashish dans une lettre conjointe parue dans La Presse. L’ordre professionnel enjoint ainsi le gouvernement québécois à reconnaître cet enjeu dans la province.

Pour instaurer l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux, le projet de loi 32 est à l’étude au parlement québécois.

Dans le même temps, le plaidoyer se poursuit pour l’adoption du « Principe de Joyce » qui vise à garantir aux Autochtones « un droit accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ». C’est indispensable!

Le racisme et l’intolérance ne s’observent pas que dans la rue ou à l’école, examine Dre Annette Epp, présidente de l’Association médicale de la Saskatchewan. Cette forme d’hostilité violente est si récurrente dans le milieu médical que le Dr Adeyemi Laosebikan, d’origine nigériane, est devenu habitué aux commentaires racistes qu’il reçoit à son travail : « J’ai vécu certaines situations au cours de ma formation. Je pense qu’il est important que les étudiants en médecine, les résidents et tous ceux qui suivent une formation médicale aient confiance en eux. »

La Clinique juridique de Saint-Michel (CJSM) sert aussi de rempart solide contre le « racisme médical » au Québec. Les témoignages de patientes et de patients victimes de racisme sont si accablants que Me Fernando Belton, président de la CJSM, allait chercher du papier-mouchoir.  Les victimes versaient des larmes. « Les traumas sont encore trop importants », se désole-t-il.

L’esprit mercantile du racisme est issu de la période coloniale. Oui! Tout a commencé en Amérique, il y a quatre cents ans avec le commerce d’esclaves. Les récentes études sur la pensée « décoloniale » en fournissent une riche source d’information pertinente. « Le racisme est un virus », écrit l’écrivain Dany Laferrière. 

Ici, je reconnais que le milieu médical n’est pas le seul terreau fertile au racisme. Dans toutes les crises (racisme écologique, profilage racial, racisme systémique, changements climatiques, etc.), ce sont les personnes marginalisées qui subissent les pires conséquences. Heureusement, des mouvements sociaux, comme Black Lives matter, favorisent une prise de conscience de l’histoire coloniale en Amérique du Nord et ailleurs.  

Le racisme témoigne d’une inquiétante régression de la santé mentale collective. Que peut-on espérer? Que le milieu médical se serve de réflexions longuement mûries et issues de divers secteurs, et de leurs tiennes aussi, pour se guérir de cette peste.

Prompt rétablissement à ce système malade de son racisme!

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08 Nov
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CAN GATO, au-delà du soccer

Par Victor Junior Jean

Avec le soccer dans le sang, un groupe de personnes racisées pour la plupart s’impliquent dans un beau mariage sport et communauté. Retour sur un tournoi sportif qui mobilise des milliers d’admirateurs du ballon rond depuis deux ans à Gatineau. 

Dans un cadre enchanteur à la quatrième ville en importance au Québec, la Coupe d’Afrique des Nations Gatineau-Ottawa (CAN GATO), remportée par le Cameroun*, a encore fructifié l’été 2023. « Quelle aventure extraordinaire qu’on a vécue grâce à votre incroyable soutien, l’émotion, la chaleur, la joie que vous avez apportés durant cet évènement incommensurable! ». Ces mots de gratitude de Hugues Cédric Bailly Abledji, président de l’Association sportive pour l’engagement communautaire et la diversité (ASECD), résonnaient, samedi 9 septembre 2023, à l’amphithéâtre de l’Université du Québec en Outaouais, lors d’une cérémonie de remise des prix.

En présence notamment du directeur général de Soccer Outaouais, Richard Gravel, plusieurs joueurs – et bénévoles – ont été récompensés en effet pour leur accomplissement et leur exploit pendant la compétition. La plupart, dont le meilleur buteur Frank Zadi (huit buts) et le meilleur attaquant Loïc Kwemi, font partie de l’équipe championne. Le trophée a été accompagné d’un chèque de trois mille dollars offerts par le Mouvement Desjardins. 

La fraternité, l’inclusion et la diversité au rendez-vous 

Au complexe sportif du Mont-Bleu, théâtre d’une folle ambiance footballistique au cours de la grande finale en particulier, semble s’implanter quelque chose de plus important que le simple moment de loisir. À surtout été créé un espace de rassemblement communautaire et de raffermissement de liens entre les personnes issues de l’immigration et d’origine africaine en majorité. « C’est l’Afrique qui gagne. C’est la communauté qui gagne », se réjouit Omer Onguene, originaire du Cameroun (Afrique centrale). 

« Il faut être en contact avec les gens de sa communauté », relate Hans-Petrus Tiendrebeogo, 22 ans, qui a assisté à cette finale avec « un sentiment de joie et de bonheur ». Originaire du Burkina Faso et arrivé au Canada en 2021, ce jeune supporteur ne pouvait pas s’empêcher de revivre son enfance au pays natal où les enfants et le soccer entretiennent une vraie relation d’amour. 

Valorisant l’inclusion et la diversité, l’ASECD s’est assuré de s’ouvrir aussi aux gens n’ayant pas forcément le même parcours historique ou la même trajectoire culturelle. Ainsi, en plus des joueurs et des supporteurs d’origine africaine, d’autres ont pu représenter la France, le Maroc et Haïti – sans oublier l’équipe dite « Reste du Monde », composée de joueurs représentant le Canada et autres pays – à ce tournoi prometteur et inspirant. C’est toujours intéressant de constater comment le soccer peut servir d’outil capable de favoriser le dialogue interculturel, d’établir et de maintenir la cohésion et la paix sociale. 

Face à l’engouement manifesté pour le CAN GATO qui draine de plus en plus de tifosi, les responsables de l’ASECD prévoient le délocaliser en 2024 vers un plus grand centre sportif. « On y travaille », lâche le directeur général, Kevin Levry, en présence de ses collègues Hugues Cédric Bailly Abledjil et Fred Joël Fifatin, respectivement président et vice-président. 

* La majorité des équipes porte le nom du pays dont les joueurs sont originaires.

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08 Nov
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Brunel et Madina, c’est pas pareil !

Journaliste d’expérience, André Lachance a servi de mentor à de nombreux jeunes journalistes d’Afrique sahélienne et d’Haïti. Auteur du Guide pratique du journaliste haïtien en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie, Lachance est le rédacteur invité de la huitième édition de COM1. Il réagit ici à un article de Bénédict Nguiagain-Launière, rédactrice invitée de notre sixième numéro.

Par André Lachance

J’ai voyagé ou travaillé plusieurs années en Afrique sahélienne et en Haïti, parfois dans des conditions difficiles. Un jour, alors que je rendais visite à ma mère à Jonquière après une année vécue pour l’essentiel à Port-au-Prince, celle-ci me dit de but en blanc :

« André, je n’aime pas ça te voir aller si souvent en Haïti. Les Noirs sont violents, ils sont toujours en train de se battre entre eux. On le voit à la télé…»

Venant de ma mère, une femme généreuse engagée dans des mouvements sociaux progressistes, cela me surprit. Je lui rétorquai : « Voyons maman, les Noirs sont comme nous. Il y en a qui ont de l’allure et d’autres pas, exactement comme nous. Et d’ailleurs, Brunel c’est un Noir! Et Madina aussi… » Je venais de nommer les deux seuls Noirs – un Haïtien et une Camerounaise – qu’elle connaissait au Saguenay et qu’elle chérissait lorsqu’elle me répondit : « Mais Brunel et Madina, c’est pas pareil. Je les connais, c’est du bon monde! »

L’anecdote en dit beaucoup. Notamment sur l’ignorance – et les préjugés – des uns et des autres lorsque la question des personnes dites « racisées » vient sur le tapis. En effet, s’il est évident que beaucoup des Québécois habitant en région n’ont eu que peu de contacts avec de nouveaux arrivants d’Afrique subsaharienne  ou des Antilles, c’est justement parce que ces derniers se concentrent dans la région montréalaise. On comprend aussi que malgré tous les efforts des gouvernements québécois successifs pour régionaliser l’immigration, trop peu de ressortissants haïtiens, burundais, maliens, sénégalais, etc; décident de s’installer à Chicoutimi, Val d’or, Sept-Îles ou Rimouski. La question du climat plus rude et de l’emploi y joue certes un rôle, mais aussi l’attrait que représente pour le nouvel arrivant une même communauté déjà installée à Montréal ou dans ses banlieues.

C’est donc faire injure aux millions de Québécois et Québécoises de bonne volonté que de laisser entendre, comme le fait Bénédict Nguiagain-Launière dans une récente édition de Com C’est Nous, que le Québec francophone rejette ce qu’elle appelle les « personnes racisées ». L’experte en Équité, Diversité et Inclusion – avatars à la mode woke du multiculturalisme canadian – n’y promeut étrangement qu’un point de vue, soit celui de certaines immigrées de l’Afrique francophone qui se proclament avant tout Canadiennes ou Montréalaises avec un dédain manifeste pour le Québec. À les entendre, on a l’impression que les Québécois sont des ploucs, incultes, bornés et racistes.

Je cite notamment ce que dit Myriam, une Congolaise de 27 ans : « J’aime beaucoup Montréal. Québec moins. Je me sens définitivement plus canadienne. Probablement parce que je n’aime pas le Québec. Je parle français, mais je suis canadienne. Comme je ne suis pas représentée, je ne suis pas québécoise. Je reconnais ce pays qu’est le Canada, pas le Québec. » Ou encore Carol, d’origine camerounaise : « Jamais, jamais, jamais je ne me sens québécoise. En aucun cas (…) Quand on me dit que je suis Québécoise, je me sens insultée. »

 Il aurait pourtant été facile d’interviewer des personnes dites « racisées » qui auraient tenu un tout autre discours, qu’elles soient nées au Québec ou ailleurs, ce que ne précise pas le texte de Mme Nguiagain-Launière. Ces hommes et ces femmes qui ont choisi le Québec – ou qui y sont nés – tiennent en privé des propos plus nuancés, correspondant plus à la réalité du Québec moderne. « Je remercie chaque jour mes parents d’avoir immigré au Québec », m’a un jour dit une jeune collègue d’origine haïtienne, consciente qu’il fait bon vivre dans le seul État francophone d’Amérique du Nord. « Bien sûr, le racisme existe aussi au Québec – comme partout sur la planète – mais il n’a rien de systémique, comme certains tentent de nous le faire croire. Ici, tout le monde peut aller à l’école, obtenir justice devant les tribunaux, se faire soigner sans qu’il lui en coûte un sou, etc. Il faut que cesse ce discours de victimisation, cette mentalité de ghetto, ce réquisitoire imbécile du Eux contre Nous. Nous sommes tous Québécois ! »

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06 Nov
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Natalie Jean : des nouvelles bien inspirées

Par Pierre-Raymond Dumas

Graphiste de profession, Natalie Jean est une écrivaine aguerrie et reconnue, car ses ouvrages sont éloquemment dans l’air du temps grâce à son sens du direct. Reconnue et louangée à juste titre, elle a déjà obtenu plusieurs prix et distinctions qui témoignent de sa réussite incontestable. Ses nouvelles et ses romans, si on les met bout à bout, en disent long sur la justesse de son écriture servie par un registre thématique foisonnant et parfois enjoué. Le goût des pensées sauvages, paru en 2020, en est un exemple frappant, une sorte de quintessence.

Rempli de bonnes intentions, mais pas exempt de gravité, ce recueil de neuf nouvelles rend l’intime ordinaire à plusieurs égards. Le résultat est un poignant condensé miracle, car lire Natalie Jean – tout au moins la nouvelliste imposante et irrésistible – c’est un exercice stimulant alimenté ou ponctué par des images fulgurantes, des histoires palpitantes de vie et de tendresse, l’usage de la forme autobiographique, mais qui est là le miroir de nos propres sensations. La breveté n’est pas seulement narrative ici, elle est la stratégie prégnante de ces nouvelles où l’imprévisibilité domine par touches délicates, avec des intermittences du cœur. Qu’elle fouille dans sa propre enfance (Un jour peut-être), se passionne pour son père itinérant tard connu (Samedis), met en exergue un jeune couple qui devient parents (Fin), raconte la fascination d’un peintre pour une apprentie écrivaine (Canicule). Natalie Jean qui a déjà publié trois recueils de nouveaux et deux romans se montre aussi habile que passionnante. Mais elle se soucie aussi, comme on l’a vu dans le titre éponyme du recueil Le goût des pensées sauvages et Ma belle ombre, du caractère extensif, volatile, impressionniste du cadre de vie qui échappe au réductionnisme propre au récit réaliste où les points de repère thématiques prédominent très clairement.

Figure rassurante et laborieuse de la littérature canadienne d’expression francophone, Natalie Jean qui puise son inspiration du monde qui l’entoure use de ses récits d’une sensibilité alliée à un ton épatant souvent, mais parfois triste, acide. Ses récits sont donc empreints de sentiments familiaux et familiers, interpersonnels et courants notamment, et mettent en scène des personnages équitablement féminins dignes du Québec d’hier et d’aujourd’hui avec leurs préoccupations matérielles et leurs visions ou pulsions intimes. Ces personnages sont issus de l’expérience de la nouvelliste ou de son imaginaire. Et croyez bien que Le goût des pensées sauvages publié par Leméac mérite bien de figurer dans votre bibliothèque ou d’être partagée avec un proche!

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06 Nov
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La flûte enchantée de Gifrants… 

La musique jouée par Gifrants, de son vrai nom Marcien Guy Frantz Toussaint, est polyrythmique. L’interprète et musicien érudit a su construire une discographie bien garnie. Rencontre de Jean-Bart Souka avec le père du concept Natif qui poursuit sa longue marche vers, bientôt, une trentaine d’opus.

Jean-Bart Souka (J-BS) : J’ai eu le privilège d’écouter quelques pièces qui seront gravées dans votre vingt-neuvième album. Son titre résonne comme un éloge à la flûte. Comme ce fut le cas d’ailleurs pour le piano dans votre précédent opus. En quoi consiste cette nouvelle œuvre dont la sortie est prévue pour l’automne 2023? Et pourquoi ce désir de mettre en évidence des instruments de musique?

Gifrants : Je commence par te remercier, Souka, pour cette merveilleuse opportunité que tu m’offres de parler une fois de plus de ma musique. Oui, je viens d’enregistrer mon 29e album Kòman m Tande Flit la tiré de mon recueil éponyme, lequel est disponible en ligne (je veux parler du recueil). 

La flûte, tout comme le banjo, est aussi l’un des instruments de prédilection de nos paysans. En fait, la flûte est très utilisée dans le rythme Kwazelewit fortement influencé par le menuet français et mis en évidence durant nos carnavals dans le nord d’Haïti avec la présentation des tresèderiban. Bien qu’il soit important pour moi de tout explorer dans le spectrum de notre musique, je ne fais aussi qu’obéir aux vibrations musicales de cette créativité formulée par des vagues d’inspirations qui font de moi un bon récipient.

J-BS : Dans ce projet, vous intégrez de jeunes diplômés de l’École de musique Schulich de l’Université McGill. Comment était la collaboration?

Gifrants : Je peux dire que tout au cours de ma carrière musicale, j’ai eu l’opportunité et le privilège de bénéficier des talents de grands musiciens. Leur apport à ma musique et leur professionnalisme m’ont permis de partager avec le grand public ces œuvres qui, je crois, présentent notre musique dans toute sa beauté.

J-BS : La valorisation de rythmes traditionnels d’Haïti, de chants vodouesques, de reflets de rythmes brésiliens, et le jazz constituent une constante dans l’approche éclectique que vous cultivez. D’où vient cette empathie affective à l’égard de ces genres ou sous-genres musicaux?

Gifrants : Une symbiose culturelle a toujours existé au cours de notre histoire ou pour mieux dire, au cours de l’histoire de la République d’Haïti, et cette symbiose existe toujours. Néanmoins, jouer cette musique avec notre sensibilité collective sans trahir son essence demeure un facteur important pour son authenticité. De plus, l’artiste, celui qui comprend ses responsabilités quant à la culture de son pays, doit refléter cette personnalisation qui rejoint la projection collective de l’individu haïtien.

J-BS: Vous prévoyez lancer l’album d’ici l’automne 2023 à Montréal. Comptez-vous organiser un événement de circonstance?

Gifrants : Oui, cet album sera formellement présenté au grand public au printemps. Merci une fois de plus pour l’entrevue. Et, je profite de l’occasion pour dire bonjourà tous!

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