Journaliste d’expérience, André Lachance a servi de mentor à de nombreux jeunes journalistes d’Afrique sahélienne et d’Haïti. Auteur du Guide pratique du journaliste haïtien en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie, Lachance est le rédacteur invité de la huitième édition de COM1. Il réagit ici à un article de Bénédict Nguiagain-Launière, rédactrice invitée de notre sixième numéro.
Par André Lachance
J’ai voyagé ou travaillé plusieurs années en Afrique sahélienne et en Haïti, parfois dans des conditions difficiles. Un jour, alors que je rendais visite à ma mère à Jonquière après une année vécue pour l’essentiel à Port-au-Prince, celle-ci me dit de but en blanc :
« André, je n’aime pas ça te voir aller si souvent en Haïti. Les Noirs sont violents, ils sont toujours en train de se battre entre eux. On le voit à la télé…»
Venant de ma mère, une femme généreuse engagée dans des mouvements sociaux progressistes, cela me surprit. Je lui rétorquai : « Voyons maman, les Noirs sont comme nous. Il y en a qui ont de l’allure et d’autres pas, exactement comme nous. Et d’ailleurs, Brunel c’est un Noir! Et Madina aussi… » Je venais de nommer les deux seuls Noirs – un Haïtien et une Camerounaise – qu’elle connaissait au Saguenay et qu’elle chérissait lorsqu’elle me répondit : « Mais Brunel et Madina, c’est pas pareil. Je les connais, c’est du bon monde! »
L’anecdote en dit beaucoup. Notamment sur l’ignorance – et les préjugés – des uns et des autres lorsque la question des personnes dites « racisées » vient sur le tapis. En effet, s’il est évident que beaucoup des Québécois habitant en région n’ont eu que peu de contacts avec de nouveaux arrivants d’Afrique subsaharienne ou des Antilles, c’est justement parce que ces derniers se concentrent dans la région montréalaise. On comprend aussi que malgré tous les efforts des gouvernements québécois successifs pour régionaliser l’immigration, trop peu de ressortissants haïtiens, burundais, maliens, sénégalais, etc; décident de s’installer à Chicoutimi, Val d’or, Sept-Îles ou Rimouski. La question du climat plus rude et de l’emploi y joue certes un rôle, mais aussi l’attrait que représente pour le nouvel arrivant une même communauté déjà installée à Montréal ou dans ses banlieues.
C’est donc faire injure aux millions de Québécois et Québécoises de bonne volonté que de laisser entendre, comme le fait Bénédict Nguiagain-Launière dans une récente édition de Com C’est Nous, que le Québec francophone rejette ce qu’elle appelle les « personnes racisées ». L’experte en Équité, Diversité et Inclusion – avatars à la mode woke du multiculturalisme canadian – n’y promeut étrangement qu’un point de vue, soit celui de certaines immigrées de l’Afrique francophone qui se proclament avant tout Canadiennes ou Montréalaises avec un dédain manifeste pour le Québec. À les entendre, on a l’impression que les Québécois sont des ploucs, incultes, bornés et racistes.
Je cite notamment ce que dit Myriam, une Congolaise de 27 ans : « J’aime beaucoup Montréal. Québec moins. Je me sens définitivement plus canadienne. Probablement parce que je n’aime pas le Québec. Je parle français, mais je suis canadienne. Comme je ne suis pas représentée, je ne suis pas québécoise. Je reconnais ce pays qu’est le Canada, pas le Québec. » Ou encore Carol, d’origine camerounaise : « Jamais, jamais, jamais je ne me sens québécoise. En aucun cas (…) Quand on me dit que je suis Québécoise, je me sens insultée. »
Il aurait pourtant été facile d’interviewer des personnes dites « racisées » qui auraient tenu un tout autre discours, qu’elles soient nées au Québec ou ailleurs, ce que ne précise pas le texte de Mme Nguiagain-Launière. Ces hommes et ces femmes qui ont choisi le Québec – ou qui y sont nés – tiennent en privé des propos plus nuancés, correspondant plus à la réalité du Québec moderne. « Je remercie chaque jour mes parents d’avoir immigré au Québec », m’a un jour dit une jeune collègue d’origine haïtienne, consciente qu’il fait bon vivre dans le seul État francophone d’Amérique du Nord. « Bien sûr, le racisme existe aussi au Québec – comme partout sur la planète – mais il n’a rien de systémique, comme certains tentent de nous le faire croire. Ici, tout le monde peut aller à l’école, obtenir justice devant les tribunaux, se faire soigner sans qu’il lui en coûte un sou, etc. Il faut que cesse ce discours de victimisation, cette mentalité de ghetto, ce réquisitoire imbécile du Eux contre Nous. Nous sommes tous Québécois ! »