Par Pierre-Raymond Dumas

Graphiste de profession, Natalie Jean est une écrivaine aguerrie et reconnue, car ses ouvrages sont éloquemment dans l’air du temps grâce à son sens du direct. Reconnue et louangée à juste titre, elle a déjà obtenu plusieurs prix et distinctions qui témoignent de sa réussite incontestable. Ses nouvelles et ses romans, si on les met bout à bout, en disent long sur la justesse de son écriture servie par un registre thématique foisonnant et parfois enjoué. Le goût des pensées sauvages, paru en 2020, en est un exemple frappant, une sorte de quintessence.

Rempli de bonnes intentions, mais pas exempt de gravité, ce recueil de neuf nouvelles rend l’intime ordinaire à plusieurs égards. Le résultat est un poignant condensé miracle, car lire Natalie Jean – tout au moins la nouvelliste imposante et irrésistible – c’est un exercice stimulant alimenté ou ponctué par des images fulgurantes, des histoires palpitantes de vie et de tendresse, l’usage de la forme autobiographique, mais qui est là le miroir de nos propres sensations. La breveté n’est pas seulement narrative ici, elle est la stratégie prégnante de ces nouvelles où l’imprévisibilité domine par touches délicates, avec des intermittences du cœur. Qu’elle fouille dans sa propre enfance (Un jour peut-être), se passionne pour son père itinérant tard connu (Samedis), met en exergue un jeune couple qui devient parents (Fin), raconte la fascination d’un peintre pour une apprentie écrivaine (Canicule). Natalie Jean qui a déjà publié trois recueils de nouveaux et deux romans se montre aussi habile que passionnante. Mais elle se soucie aussi, comme on l’a vu dans le titre éponyme du recueil Le goût des pensées sauvages et Ma belle ombre, du caractère extensif, volatile, impressionniste du cadre de vie qui échappe au réductionnisme propre au récit réaliste où les points de repère thématiques prédominent très clairement.

Figure rassurante et laborieuse de la littérature canadienne d’expression francophone, Natalie Jean qui puise son inspiration du monde qui l’entoure use de ses récits d’une sensibilité alliée à un ton épatant souvent, mais parfois triste, acide. Ses récits sont donc empreints de sentiments familiaux et familiers, interpersonnels et courants notamment, et mettent en scène des personnages équitablement féminins dignes du Québec d’hier et d’aujourd’hui avec leurs préoccupations matérielles et leurs visions ou pulsions intimes. Ces personnages sont issus de l’expérience de la nouvelliste ou de son imaginaire. Et croyez bien que Le goût des pensées sauvages publié par Leméac mérite bien de figurer dans votre bibliothèque ou d’être partagée avec un proche!