Josepha Dumas, artiste multidisciplinaire franco-haïtienne, vit à Montréal, avec un riche catalogue de toiles, à la fois étonnantes et suggestives. Née à Port-au-Prince, elle a vécu notamment aux États-Unis et en Allemagne avant de s’établir au Canada et obtenir, en 2018, un baccalauréat en beaux-arts à l’Université Concordia. La célébration de la Journée internationale de la femme représente une heureuse occasion pour COM1 et cette artiste au talent sûr de s’échanger.
COM1 : Comment vos études se sont-elles déroulées à l’université?
Josepha Dumas (J.D) : À l’université, j’avais beaucoup de cours, puisque j’étais une étudiante internationale. J’avais jusqu’à six cours par semestre dont quatre obligatoires.
Les cours d’art, comme la peinture et le dessin, duraient deux semestres, car ils donnaient droit à plus de crédits, et les autres un semestre. Je me suis quand même bien débrouillée, même s’il était parfois difficile de gérer tous ces cours, tout en s’adaptant à un nouveau pays. C’est vers la fin de mon diplôme que j’ai commencé à me considérer comme une artiste et que j’ai décidé de me consacrer entièrement à mon travail. Un grand merci à François Morelli, Cynthia G. Renard et Leopold Plotek! Merci aussi à mon adorable père!
COM1 : Diriez-vous que c’est difficile de peindre?
J.D : Pour beaucoup, la peinture est difficile, mais pour moi, je ne pense pas qu’elle le soit. Ce que je pense être difficile en tant que peintre, c’est de trouver ce que l’on veut dire à travers la peinture. Dès que vous avez une idée ou une vision de ce que vous voulez dire, je pense que cela devient plus facile. Je dois admettre que mon amour pour le dessin a augmenté plus que pour la peinture au cours des dernières années. J’aime travailler avec des matériaux qui ne peuvent pas être effacés, car pour moi, c’est une métaphore de la vie, du fait que, quoi qu’il arrive, il faut continuer à avancer, même à travers ses erreurs, une ligne après l’autre. Lorsque je peins, j’ai l’impression que le temps s’arrête, que tout est visuellement possible et que les seules limites sont celles que l’on s’est fixées.
COM1 : Avez-vous une passion particulière pour le portrait?
J.D : Les portraits ont été mon premier amour dans l’art. Quand j’étais jeune, j’essayais de reproduire le visage de quelqu’un afin de m’améliorer en dessin. Je passais des journées entières à entraîner mes yeux et la coordination de mes mains. Ce qui était important pour moi, c’était de faire en sorte que ce soit réel. Comment dessiner des ombres? Comment créer de la profondeur? Comment jouer avec la perception? Je pense que les portraits peuvent révéler l’âme d’une personne, à travers ses yeux, on peut voir son amour, sa douleur, sa joie, ses secrets et son espoir. Les lignes sur leur visage, comme sur leurs mains, peuvent révéler leur parcours et l’histoire de leur vie. J’aime beaucoup dessiner des portraits et bien que je me concentre actuellement davantage sur les paysages, le portrait fera toujours partie de mes séries de travaux.
COM1 : Être femme représente-t-il un handicap pour réussir une carrière artistique?
J.D : En tant que femme, il y a beaucoup de limites dans le monde, contrairement aux hommes, et nous le savons tous. En tant que femme dans le monde de l’art, il y aura aussi des limites, mais je ne dirais pas qu’être une femme est un handicap pour avoir une carrière artistique. Je pense que tant que vous avez du talent, que vous soyez un homme ou une femme n’a pas vraiment d’importance. Je ne suis pas non plus née à Montréal, alors je ne peux pas vraiment parler en fonction de mon expérience de vie ici. Je pense que c’est à nous, les femmes, de travailler pour réaliser notre rêve et de montrer que nous pouvons avoir une carrière artistique très réussie, tout comme les hommes.
COM1 : En quoi le Canada vous a-t-il influencé dans le choix de vos thèmes et de votre technique artistique?
J.D : Mon travail actuel se concentre beaucoup sur les paysages de mon pays natal, Haïti, et de mon pays actuel, le Canada. À travers mes paysages, j’explore l’idée d’un foyer perdu, le déplacement, le concept d’espace et de temps, et le dialogue entre Haïti et Montréal, par rapport à ma place dans la diaspora haïtienne.
Je représente deux îles en un seul paysage, en l’occurrence Haïti et Montréal. Mon immigration au Canada a influencé les thèmes de mon travail de cette manière. J’explore l’idée des paysages comme un reflet de nos identités dispersées et mélangées. Pour ce qui est de mes techniques, je dirais que ce sont surtout mes cours à l’Université Concordia, plus particulièrement mon cours de dessin avec François Morelli et mon cours de peinture avec Leopold Plotek, qui m’ont vraiment influencée.
Dans le cours de François Morelli, j’ai appris à voir le dessin non seulement comme une ligne sur le papier, mais aussi comme un acte performatif sans limites et non lié à une œuvre sur papier. Dans mon cours de peinture, modèle vivant, avec Leopold Plotek, j’ai appris à incorporer l’imagination dans un cadre qui se trouve réellement devant moi. J’ai appris à jouer avec la perception, la profondeur et la narration. Comment peut-on être ici et là en même temps? Comment puis-je être à Haïti et à Montréal en même temps?
COM1 : Quels sont vos projets récents et ceux sur lesquels vous travaillez?
J.D : L’un de mes projets les plus récents est la suite d’un projet que j’ai commencé l’année dernière. J’ai créé une série de portraits animés d’artistes noirs à différents stades de leur carrière artistique. J’ai commencé ce projet l’année dernière en février pour le Mois de l’histoire des Noirs afin de célébrer les artistes noirs, même si je pense que nous devrions être célébrés tous les jours. J’ai réalisé vingt portraits numériques en 2022, composés d’hommes, de femmes, de transgenres et de non-binaires, et cette année, j’ai réalisé vingt autres portraits en me concentrant également sur des musiciens, des « performeurs », des DJ, des écrivains, des photographes et des commissionnaires. Je travaille aujourd’hui sur un album sous mon alias Mme Blue, en espérant une sortie au début de l’année 2024. Je travaille également sur une nouvelle série de dessins et de peintures concentrés principalement sur l’histoire d’Haïti et l’indépendance haïtienne.
Démarche artistique et biographie
Le travail de Josepha Dumas se concentre sur les traces de ses parents au sein de la diaspora haïtienne alors qu’ils se déplacent et grandissent à travers l’espace et le temps. Il s’agit du déplacement, de la recherche d’identité, de l’immigration, des nuances de la (dé)colonisation, de la familiarité et de la méconnaissance des paysages étrangers et du dialogue entre l’espace et le temps.
Son travail a été publié sous forme de couvertures de livres (portraits d’écrivains haïtiens) sur six monographies écrites par Pierre-Raymond Dumas, en 2022. La surnommée Mme Blue pour la musique et improVIE pour le cinéma expérimental, a participé et participera à diverses expositions collectives autour de Montréal, Madrid et Corée du Sud.
Elle explore l’idée de paysages comme reflet unifié d’une identité dispersée et tente de retracer ses pas personnels au sein de la diaspora haïtienne depuis très longtemps.
Dans l’ensemble, son travail porte sur le déplacement, la recherche d’identité, la familiarité et la non-familiarité dans des paysages étrangers, et le dialogue entre l’espace et le temps.