Les enfants sont bien souvent utilisés comme arme de violence conjugale envers leur mère, déplore Arianne Hopkins, directrice générale de Unies.Vers. Elles. En marge de la Journée internationale des femmes le 8 mars, elle évoque la problématique de violence conjugale dirigée vers les femmes. Son message est clair : « Arrêtons de donner des armes aux agresseurs ».
COM1: Un rapport, pour le moins sombre, sur la violence conjugale à Montréal-Nord commandé par la Table Femmes Osez au féminin, a été publié, en 2019. Quatre ans plus tard, la situation demeure-t-elle inchangée?
Arianne Hopkins (A.H) : Pour donner suite au rapport émis en 2019, la Table Femmes Osez au féminin a pris le leadership de rassembler en grande majorité les organismes et partenaires institutionnels du quartier afin de travailler collectivement à un plan d’action territorial pour ne pas laisser le rapport de TrajetVi se «tabletter ». Pour ce projet de grande envergure, nous avons voulu faire la démarche de manière participative et l’appuyer par la recherche. Malgré la pandémie, le 15 février 2021, la Table, en collaboration avec la Table de quartier de Montréal-Nord ainsi que la Table Paix et sécurité urbaine ont déposé un audacieux plan d’action concerté et territorial à Montréal-Nord.
Actuellement, il nous manque un financement afin de concrétiser notre idéal, soit l’embauche d’une coordonnatrice à temps plein pour mener à bien ce plan d’action. Des actions concrètes ont été quand même déjà entamées, mais, il est trop tôt pour parler d’impact mesurable. Cela dit, le désir d’implication d’autant de partenaires qui n’ont pas comme mission première la violence conjugale est impressionnant et étonnamment constant depuis 2019. Les acteurs de terrain veulent que ça bouge, que les services de soutien soient suffisants et plus accessibles pour les citoyens, que les jeunes soient mieux soutenus, qu’il y ait plus de dépistage, de sensibilisation et de services à la communauté.
Partout au Canada, une tendance à la hausse des différents crimes contre la personne est remarquée, et ce, depuis plusieurs années déjà. À Montréal, en 2021, ceux-ci ont augmenté de 17,3 % par rapport à la moyenne de 2016 à 2020. Les homicides et les tentatives de meurtre ont augmenté de façon importante.
COM1: En quoi consistent les services offerts aux femmes dans le quartier? Où et comment les obtenir?
A. H : Il existe trois organismes spécialisés à Montréal-Nord actuellement :
Halte-Femmes Montréal-Nord est un centre de jour, qui permet aux femmes d’obtenir le soutien nécessaire en toute confidentialité dans un climat de confiance et de respect. Ce lieu d’appartenance par, pour et avec les femmes est en quête d’autonomie et de reprise de pouvoir dans les différentes sphères de leur vie. Tout en se distinguant par son intervention en violence conjugale, l’organisme répond aux besoins de l’ensemble des femmes.
Unies.Vers.Elles offre des services de soutien, d’accompagnement et de défense de droits pour les femmes victimes de violence conjugale postséparation afin qu’elles puissent, dans un environnement sécuritaire, reprendre le pouvoir sur leur vie. Par ses services adaptés et complémentaires, Unies.Vers.Elles vise aussi à contribuer aux changements sociaux liés à la violence conjugale et à dénoncer les injustices dont les femmes et leurs enfants sont victimes.
Centre interculturel Claire vise à améliorer la qualité de vie des femmes et des familles du milieu. Le centre est à l’écoute des personnes de l’arrondissement de Montréal-Nord et de ses environs, surtout des femmes cheffes de famille en difficulté. Il favorise aussi l’intégration des femmes immigrantes en leur donnant des outils utiles et pratiques pour une meilleure intégration.
Le service de police du quartier (PDQ-39) offre un service aux victimes si elles veulent porter plainte. Une intervenante CAVAC est aussi sur place pour offrir des informations et références aux victimes. Il y a aussi le CLSC Montréal-Nord.
COM1: Selon votre expérience dans le milieu communautaire, quelles sont les femmes les plus exposées à la violence conjugale?
A. H : Il n’existe pas de profil type des victimes de violence conjugale. C’est une problématique sociale qui dépasse le caractère intime d’une relation, car ce n’est pas un conflit entre deux amoureux ou conjoints, mais bien une prise de pouvoir d’un partenaire sur l’autre. Le conjoint, ayant des comportements violents, se croit et se sent légitime d’avoir le contrôle sur l’autre. Toutes autres raisons étant invoquées pour expliquer la violence ne sont qu’une tentative de justification extérieure aux comportements choisis (bien qu’impulsifs) de la personne violente.
Évidemment, des facteurs sociaux culturels et économiques peuvent parfois expliquer pourquoi certaines victimes se sentent contraintes de demeurer dans une relation violente. Il y a par exemple : la peur de détruire la famille, la hausse des loyers, la peur, la honte, le statut précaire à l’immigration, etc. L’isolement, créé par la toxicité de la relation, impacte aussi les victimes dans leur capacité et leur moyen de s’en sortir. En effet, plus une personne a un bon réseau, un filet social bien soudé, plus il pourra être facile pour elle d’obtenir du soutien lorsqu’elle sera prête à mettre fin à sa relation.
L’addition des différents systèmes d’oppression vécus dans une société favorise malheureusement le maintien de la toile d’araignée tissée par l’auteur de violence. La honte, les préjugés, la précarité d’un statut d’immigration par exemple peuvent impacter ou limiter les moyens pour les victimes de dire non à une situation de violence conjugale.
COM1: Et qu’en-est-il des enfants dans ces climats si toxiques?
A.H : Les femmes avec des enfants sont obligées de conserver des liens avec l’agresseur pour les droits de coparentalité, et ce, même s’il y a violence envers les enfants.
Toutefois, les groupes de défense de droit des victimes et de leurs enfants travaillent d’arrache-pied afin que le droit des enfants d’évoluer dans un milieu non violent soit primé contre les droits parentaux. Malheureusement, les enfants sont bien souvent utilisés comme arme de violence envers leur mère lorsqu’elle tente de reprendre le pouvoir sur leur vie et qu’elle désire mettre ces limites dans la relation avec le père de l’enfant. C’est d’ailleurs dans des situations comme celles-ci que le soutien d’une intervenante spécialisée auprès des victimes de violence conjugale post-séparation comme Unies.vers.elles peut s’avérer essentiel.
COM1: À Tout le monde en parle, le 22 janvier 2023, l’une des têtes d’affiche de l’émission considère la violence conjugale comme une maladie. Cette approche controversée a-t-elle fait l’objet de discussions dans le milieu communautaire? Est-ce un pavé dans la marre?
A.H: Merci de soulever ce point très intéressant! Oui, il a été abordé par plusieurs de mes collègues et moi-même.
Vous savez, parfois par mécanisme de protection, lorsque la souffrance est trop grande, nous devons trouver un sens à notre perte, un sens à tout notre vécu traumatique (réflexe normal du processus de deuil). Tout au long de notre vécu avec l’agresseur, que ce soit un père violent ou un chum contrôlant, il tente toujours de mettre la faute sur quelque chose d’extérieur à lui. Il vient donc en tête à plusieurs victimes d’essayer de croire (ou d’essayer de se convaincre) que ce n’est pas la faute de l’auteur de violence et donc de minimiser la responsabilité de ses gestes. Bien souvent, on veut faire l’addition que si c’est une maladie, c’est qu’il ne peut faire autrement et qu’il nous aime quand même.
Il est toutefois très délicat, voire dangereux de ne pas encadrer ce genre de discours par des intervenants ou professionnels dans le domaine pour éviter que cette fausse phrase soit reprise par les agresseurs pour justifier leurs comportements et par les victimes pour tenter « d’accepter » l’inacceptable. Cela donne du pouvoir aux agresseurs dans leur salon. Arrêtons de leur donner des armes.