Nourrisson en décembre 1979, Chan Tep a connu l’exil avec ses parents ayant vécu, à l’époque, les assauts du régime génocidaire de Pol Pot. Au nom de l’utopie communiste, ledit régime a conduit à la mort de quelque deux millions de Cambodgiennes et de Cambodgiens. Quatre décennies après le pire cauchemar que son pays natal n’ait jamais vécu, Mme Tep est devenue un colosse dans la sphère médiatique canadienne. Récit de vie.

1 9 décembre 1979, début d’une nouvelle vie pour Chan Tep à Montréal. Pour ses parents aussi qui fuyaient le régime génocidaire de Pol Pot qui semait la terreur de 1975 à 1979.

« Ma famille et moi avons miraculeusement réussi à fuir le Cambodge à travers une série d’épreuves », rappelle tout de go Mme Tep en entrevue à COM1.

Son frère aîné a été victime d’une explosion de mine antipersonnelle ainsi que toute sa famille qui ont tous reçu des éclats de mine sur leur corps; et son père a failli laisser sa peau à plusieurs reprises.

C’est évidemment avec ce traumatisme de génocide, de fuite et de séquelles de la famine que Chan Tep et sa modeste famille devaient composer pour vivre et tailler leur place au sein de la nouvelle terre d’accueil. Outre cette dure réalité psychosociale, les défis culturels et linguistiques ont aussi tenaillé leur intégration. Ses parents avaient à peine une base de la langue française. Ils ont pris des cours offerts par les Centres d’orientation et de formation pour les immigrants (nommés les COFI à l’époque) afin de parfaire leur connaissance de la langue et ainsi transmettre ces connaissances à toute la famille.

Heureusement, dans les années 1980, il y avait moins de conditions et de restrictions en lien avec des diplômes pour intégrer le marché du travail de la Belle Province. « Mes parents ont été chanceux d’avoir de bons emplois en arrivant au Québec, bien qu’ils n’aient pas eu nécessairement une spécialisation professionnelle », reconnait l’interviewée. Son père a été répartiteur de pièces chez Pratt & Whitney et sa mère concierge d’école.

Défenseure de la représentativité et de la diversité culturelles

 La société canadienne se métisse de plus en plus et la représentativité est très importante pour les personnes immigrantes. Chan Tep le sait. « Il y a plusieurs enjeux quand on n’arrive pas à se sentir existant dans une société. Cela peut jouer sur notre façon de se projeter dans l’avenir, sur l’estime de soi, sur sa confiance et sa capacité d’évoluer dans une communauté », croit la journaliste qui s’inscrit en défenseure de la diversité culturelle.

Pour mener son combat, la spécialiste en communication visuelle et marketing a dû changer de carrière. La native du Cambodge a choisi les médias. En tant que membre de ce qu’on appelle « quatrième pouvoir », elle a su mesurer l’efficacité de cette arme capable d’influencer les sociétés, les jeunes, les politiques et les institutions.

C’est ainsi qu’elle a développé, en 2015, Mosaïque en lumière. Ce magazine interculturel promeut la diversité sous toutes ses formes. « C’est à partir de cette émission que les gens du Grand Montréal ont pu me connaître, ainsi que mes intérêts en lien avec tout ce qui touche l’immigration », explique celle qui est devenue aujourd’hui une icône dans les médias. Elle a d’ailleurs été honorée par l’Assemblée nationale du Québec pour son implication auprès de femmes immigrantes.

Donner une voix à la diversité dans les médias

Le paysage médiatique au Canada et au Québec est ouvert à tout le monde. Mais comme partout ailleurs, il faut travailler fort pour se tailler une place, car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus dans ce secteur. « La diversité dans les médias est possible. J’en suis une preuve. Toutefois, avant d’avoir sa place au soleil, il faut comprendre le système dans lequel on est », prévient la journaliste.

La recette n’est pas seulement dans le savoir-faire. Elle encourage les personnes intéressées à développer leurs talents et faire du réseautage. Pas seulement sur une base quantitative, mais aussi et surtout qualitative.

Chan Tep n’est pas du genre à baisser les bras. Malgré le traumatisme intergénérationnel qu’elle a connu, des épisodes de racisme et de discrimination qu’elle a vécus, un cancer des ovaires qui l’a terrassée, le départ brutal de sa mère, morte d’une crise cardiaque en 2019, elle s’est hissée avec brio au sommet. D’autres diront une citadelle.

Mère de deux enfants, Chan Tep est aujourd’hui Conseillère, planification stratégique et opérationnelle au secteur Diversité et Inclusion à Radio-Canada.

Cet espace médiatique investi, elle y a fait forte impression. Tep pose sa voix sur des thèmes souvent éludés par le paysage médiatique où elle officie.

Faisant partie des Cambodgiens et Cambodgiennes qui se sont le plus démarqués au Canada, selon l’Encyclopédie canadienne, elle garde un lien fort avec sa terre natale. Elle y re – tourne à quelques reprises pour communier avec son histoire.

L’un de ses plus grands souhaits est de produire un documentaire sur l’histoire de sa famille. Un souhait d’autant plus cher pour son père de quatre-vingt-trois ans qui a connu de douloureuses épreuves notamment des séjours répétés en prison, la mort de son fils et un éclat de mine dans son doigt, et ce, en souvenir du régime de terreur des Khmers rouges de Pol Pot. Ces derniers tombaient, le 7 janvier 1979, sous les coups d’une invasion militaire par le Vietnam.